Bonne à marier ? [Gwenliann]

Gwenliann fut enfin introduite dans le bureau du procureur qui l'accueillit d'une poignée de mains. La jeune femme y répondit avec une parfaite sobriété. Puis elle prit place dans le fauteuil face au jeune homme. Tout de suite, on pouvait voir à sa posture qu'elle était habituée à siéger avec aisance face à des personnes d'importance. Les jambes croisées, elle se tenait droite et digne. Mais son visage, bien que d'apparence fermé, reflétait une certaine curiosité et surtout une certaine distance méfiante. Elle sembla devenir de plus en plus dubitative lorsque le magistrat lui présenta les raisons de sa convocation.

Elle ouvrit la bouche alors pour la première fois depuis son arrivée :

" Et une telle inquiétude me vaut d'être convoquée par le procureur lui-même... " constata t elle, non sans une once de sarcasme dans la voix.

Elle fit mine de réfléchir et adopta un air faussement ennuyé :

" Hmmm, est-ce que je dois m'en sentir flattée ou, au contraire, dois-je m'en inquiéter ? "

Elle ne pouvait s'empêcher de trahir un peu de contrariété dans sa voix. L'un de ses sourcils était levé, à mi-chemin entre le scepticisme et la frustration. Etait-ce le fait qu'elle soit assassin... ou Eile qui dérangeait vraiment les gens ? Ayant une légère tendance à s'emporter, elle prit tout de même sur elle pour garder un visage de marbre et un sang froid emprunt de fierté et d'arrogance. En même temps, elle se mit à étudier l'homme qui se tenait face à elle, cherchant à savoir à qui elle avait affaire réellement...

" En somme, je suis là pour un second entretien d'embauche en quelque sorte ? "

Gwenliann ne put s'empêcher d'avoir un sourire en coin. Ses soupçons semblaient être avérées. Ce n'était cependant pas un sourire de satisfaction, au contraire. Mais au moins, elle devait reconnaître que le magistrat avait une façon de présenter les choses de manière directe, ce qui atténua quelque peu sa colère. Elle exécrait l'hypocrisie et avait craint que le jeune homme ne cache ses réels intentions derrière son beau sourire... Mais elle ne se doutait pas encore de la véritable raison de sa venue et, en un sens, elle n'avait pas eu tort de songer cela.

" Je suppose qu'il est inutile de mentir à un homme de la justice alors... j'avoue bien volontiers qu'en effet, mon choix de devenir professeur n'est pas étranger à mes origines Eile... Et puisqu'on en est aux confidences, j'admet que c'est d'ailleurs ma seule réelle motivation pour avoir quitté partiellement ma position de chef de clan. Je ne m'excuserai cependant pas de vouloir rétablir une vérité et un équilibre qui a disparu depuis bien longtemps de cette société... "

Son regard reflétait une colère froide qu'elle contenait malgré tout, tachant de rester lucide. Elle décroisa les jambes et se pencha légèrement, fixant son interlocuteur dans les yeux. Il n'y avait pas une once d'hésitation ni de crainte. Elle n'était pas du genre à s'applatir et à acquiescer bien gentimment. Elle estimait mériter sa place tout autant que n'importe qui.

" Je n'espère pas être un modèle en matière d'intégration, c'est bien au dessus de mes forces. Mais il serait bien stupide de ma part de vouloir ne serait-ce que blesser l'un de mes étudiants, justement parce qu'ils sont la nouvelle génération et la nouvelle force vive de cette île. Leur esprit est encore assez maléable pour semer la graine du doute dans leur esprit et je préfère exercer une influence psychologique et morale sur eux, plutôt qu'une domination physique. Ce ne serait pas avisé d'agir autrement..."

Elle se redressa dans son siège, nimbée de toute sa fierté. Puis elle ajouta, d'une voix plus douce et mimant presque l'innocence :

" Est-ce que cela répond à votre question ? "

Après un pareil discours, elle s'attendait à ce qu'on la renvoie chez elle illico presto. Elle attendit donc sa sentence, une moue de colère s'égarant toujours au coin de ses lèvres.

Aether étouffa un petit ricanement qui risquait de mettre à jour ses réelles intentions. Le discours de Gwenliann l'avait ravi et rassuré sur un point : la jeune femme demeurait une Eile pure et dure, et ses motivations ressemblaient aux siennes. Rétablir un équilibre, n'est-ce pas ? Ne pas triompher par la force mais par la pensée. Ses intentions et sa façon de faire se nimbaient de subtilité.

Mais il avait touché un point sensible, ce que montrait cet étalage de fierté qu'elle arborait. Buste relevé, front haut, regard d'acier... Une femme de poigne, pas facile à destabiliser.

"J'ai du mal à croire...." commença-t-il en souriant plus franchement.

"... qu'on ait pu vous engager avec un air aussi farouche. La sonnette d'alarmes n'a pas été tirée dès que vos yeux de glace ont réclamé ce poste ? Ma foi, vous avez dû bien tromper votre monde."

Il se pencha en arrière dans son fauteuil afin de se mettre dans une position plus confortable. Ses doigts vinrent caresser son menton, et il prit un air profondément dubitatif :

"Mais j'avoue que je vous trouve.... un brin naïve... Par curiosité, vous pensez déjà avoir beaucoup fait pour la cause Eile ? Oh, vous me direz que vous êtes en poste depuis peu... Mais je crains que vous ne vous enlisiez dans votre petit quotidien et que vos grands idéaux de justice et d'égalité disparaissent dans la spirale de cours laborieux et redondants..."

Il entrecroisa ses doigts fins, comme s'il allait les faire craquer.

"Reste à savoir qu'elle sera ma conclusion : pseudo-communiste dans les nuages, ou terroriste sans envergure... Mes confrères aiment beaucoup les étiquettes...."

Nouveau sourire sur sa face réjouie :

"Mais vous trouverez cela sans doute dépassé. ^^ "

Gwenliann en eut le souffle coupé. Elle ne chercha même plus à brider sa colère - elle ne parvenait jamais à l'endiguer très longtemps. Elle était estomaquée devant tant d'arrogance qui égalait voire dépassait la sienne sans l'ombre d'un doute. Haut placé ou non, elle se fichait bien de savoir qui elle avait en face d'elle. Elle prenait les paroles du procureur comme une véritable attaque et le fait qu'il semble prendre cela d'un air aussi tranquille et satisfait suffit à la faire exploser.

D'un bond, elle s'était levée de sa chaise, provoquant un violent grincement puis le bruit sec de la chute du meuble sur le sol. Les deux mains posées sur le bureau, elle fixait Aether avec la hargne la plus acérée, celle qu'elle réservait habituellement aux non-Eile. D'ailleurs, elle ignorait qu'il faisait parti lui aussi de cette lignée. A ce moment-là, elle le considérait comme l'être le plus abjecte qu'elle ait croisé et ses doigts la démangeaient, réclamant de descendre jusqu'à sa botte pour en retirer son poignard. Mais elle songea alors qu'il aurait été Ô combien plus jouissif de resserrer ses mains autour de son cou et d'étrangler cette gorge qui avait osé la défier.

" Vous vous aventurez sur un terrain dangereux, Mr le Procureur... Je ne permettrai pas qu'on me crache au visage de cette manière ! " s'exclama t elle.

Son regard était passé du vert d'eau paisible au ciel d'orage et on aurait presque pu parier que ses yeux allaient jeter des clairs. Elle était blême de fureur, ses lèvres étaient pincées. Dans sa tenue du clan Da'l Riada, elle dégageait l'aura d'une chef impitoyable. Son caractère entier lui interdisait tout compromis. Elle tranchait dans le vif, et à cet instant, c'était la gorge du procureur qu'elle rêvait de trancher.

" Avez-vous la moindre idée de ce que les miens ont enduré et de l'injustice qu'ils continuent à subir ? Simplement pour des raisons d'idéologie et de croyance, mon peuple a été massacré sans le moindre remord. Mais nous avons toujours refusé de plier l'échine et d'accepter l'aliénation qu'on nous proposait. Le pardon nous est exclu, l’oubli tout autant. Cependant, dans l’histoire, ce ne sont pas nous les criminels. Faîtes moi donc passer pour une petite patriote sans charisme et sans foi si ça vous chante ! Mais ne commettez pas l’erreur de penser que parce que nous ne sommes plus qu’une poignée, notre existence est bonne à être réduite à néant, tout comme nos « idéaux de justice et d’égalité » comme vous les appelez. Virez-moi ! Traînez-moi dans la boue ! Je ne tolérerai cependant pas que l’on remette en question mes convictions et celles de mon peuple… "

Elle se redressa alors et s'apprêta à se diriger vers la porte. Elle ne quittait pas le champ de bataille, cependant, mais elle ne pouvait pas supporter d'attendre que le procureur l'autorise gentimment à s'en aller. Elle agissait de son propre chef et refusait qu'on lui dicte sa conduite.

Il y était allé fort, très fort. Et Gwenliann avait réagi au quart de tour, avec une furie non contenue, risquant de faire basculer l'entretien vers un non-lieu désastreux. Déception ou révélation du côté du procureur ? La colère de la jeune femme était digne de son rang et de sa nature d'Eile, elle prouvait qu'elle n'était pas deux qui courbaient l'échine devant les préjugés, les sarcasmes et l'oppression. Mais en même temps il aurait apprécié plus de sang froid chez elle. -Gonflé qu'il était, il oubliait bien vite sa part de responsabilité dans l'affaire.- Son tempérament emporté pouvait faire d'elle une piètre manipulatrice. Il ne la connaissait pas encore assez pour prononcer un jugement définitif, mais si elle était aussi emportée elle pourrait faire mauvais effet dans le grand monde auquel il se destinait.

Et pourtant force est de constater que la fureur embellissait les traits de cette femme. Durant son discours, Aether demeura de marbre, se concentra à l'étude de cette figure qui se tordait de haine, recherchant à travers chaque intonation de colère une vision de la vie qu'il ménerait avec une telle femme derrière lui.... Et il fut perplexe, ce n'était pas une décision à prendre à la légère.

Même s'il n'en montrait rien, la colère de Gwenliann avait eu un mérite : il était retombé dans la réalité crue. Celle qui n'était jusqu'alors que la "fiancée" obscure, une silhouette à peine définie dans son esprit. A présent elle s'incarnait pleinement dans ses yeux. Et le combat à mener s'annonçait des plus exhaltants : oh, comme il lui faudrait redoubler d'efforts pour dompter cette furie. Mais il aimait les défis.

Mais elle partait... Il se leva d'un coup.

"Attendez !" lança-t-il d'une voix ferme, dépourvu de moquerie.

"Je vous ai menti."

Serait-ce assez pour retenir l'attention de la jeune femme ? Sa colère dépassait l'entendement, mais il devait tenter une dernière approche :

"Mes confrères n'ont jamais sollicité la moindre enquête à votre encontre. C'est moi seul qui me suis intéressé à votre cas..."

Une lueur de fierté perça le bleu de ses yeux :

"Quand le hasard m'a mené sur votre dossier, j'ai trouvé votre cas... intéressant. Je voulais satisfaire ma curiosité, et tester vos principes et votre loyauté."

Sa voix trouva des tons plus doux : il était manifestement en tort, et devait le signifier par un moyen quelconque. Son assurance naturelle risquait de lui jouer un vilain tour, mais comment faire passer un message sans tout dire ? Il n'était pas encore temps pour des explications complètes.

"Je sais que mes façons ont de quoi rebuter beaucoup de monde. Mais vous aviez l'air trop secrète pour que j'emploie la manière classique. Je voulais vous pousser dans vos retranchements..."

Et de sourire, taquin :

"Est-ce que j'ai réussi ?"

Gwenliann s'arrêta alors qu'elle était prête à saisir la poignée de la porte. Elle mit quelques secondes à se retourner. La fureur n'avait pas quitté son visage. C'est avec le plus grand mépris qu'elle l'observa tandis qu'il s'expliquait sur ses agissements. Mais elle aurait préféré ne rien entendre, car ce qu'il lui révéla eut le don de lui faire de nouveau monter la moutarde au nez.

" Alors je ne suis qu'un jeu ? Un petit test pour tromper votre ennui ? " répliqua t elle, toujours sur la défensive.

" Vous mériteriez que je vous arrache la langue ! Oui, vous m'avez mise en colère, oui vous m'avez poussée dans mes derniers retranchements ! Votre curiosité est-elle satisfaite à présent ? "

Bien qu'encore très en colère, Gwenliann avait tout de même la capacité de contrôler sa voix. De telle sorte qu'elle ne déraillait jamais dans les aigus, ce qui aurait pu lui donner l'effet d'un chien qui aurait coincé sa queue dans une porte. Elle serrait les poings, si forts que ses ongles manquaient de peu de pénétrer sa chair. Mais elle ne semblait pas y faire attention. Son regard restait braqué sur Aether, dans une telle expression de hargne qu'on aurait cru qu'elle allait se jeter sur lui pour lui arracher les yeux.

Elle n'avait plus été aussi en colère que depuis sa bagarre avec Gareth. Elle démarrait au quart de tour et il n'était pas bien difficile de la faire exploser. Sa mère lui avait souvent reproché la dureté de ses jugements lorsqu'elle devait régler les problèmes du clan. Mais l'exigence qu'elle imposait aux autres n'avait d'égale que celle qu'elle s'imposait à elle-même.

" Que je dois Eile ne vous donne pas le droit de me traiter comme une bête curieuse... " siffla t elle.

" Je ne dois de compte à personne, pas plus à vous qu'à un autre. Mon fiancé lui-même ne s'aventure pas à me poser de telles questions... " ajouta t elle.

Ironie du sort : ne connaissant pas l'identité de son fiancé, elle ignorait qu'il se tenait face à elle. Mais elle était d'une telle mauvaise foi et d'une prétention telle qu'elle avait décidé de jouer cette carte. Mais pour prouver quoi au juste ? Dans sa fierté mise à rude épreuve, elle voulait rétablir un semblant d'ordre et montrer qu'elle ne se laissait pas marcher sur les pieds aussi facilement... Malheur à elle, elle n'avait pas choisi le meilleur exemple...

Au moins, cette première révélation avait retenu la demoiselle. Elle n'était pas encore sortie de son bureau... mais allez savoir s'ils ne couraient pas tous deux au désastre quand même ? Aether eut un passage à vide : il sentait un fou rire gigantesque remonter de sa poitrine. Il parvint à le contenir, mais il fut obliger de pencher la tête, une main sur le front, comme en proie à un mal de tête. Ne pas rire, surtout pas. Ce serait dommage de tout gâcher !

Son fiancé ! La belle était une mauvaise foi incroyable ! Que c'était amusant, ravissant, charmant ! Comment ne pas en rire en songeant à l'ironie de la situation ? Aether n'avait plus du tout envie de révéler le pot aux roses. Il serait tellement plus jouissif de poursuivre ce petit jeu pour que Gwenliann tombe de plus haut. Que leur rencontrer débouche bien sur un mariage ou non, qu'importe ! Il aurait grand plaisir à l'afficher comme sa fiancée, lui faisant avaler sa mauvaise foi de travers. Oh, quand ce moment viendra, il sera fort amusant.

"Mademoiselle..." dit-il doucement.

Quel dommage, il ne pouvait pas laisser aller librement sa verve sans s'écrouler de rire... Il dut calmer ses propos. Extérieurement, il semblait calme, troublé certes.... mais nul ne pouvait dire que c'était par un grand rire intérieur. On aurait pu croire qu'il avait eu soudain honte de son attitude et qu'il s'en repentait.

"Je vous présente mes excuses, je crois qu'il y a eu un petit malentendu. Je ne vous ai pas prise pour un amusement...."

* Mon oeil ! MOUHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA ! *

"Votre fiancé a bien de la chance d'être tombé sur une femme si digne, si orgueilleuse -et je parle d'orgueil dans son sens mélioratif- et si franche...."

*HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA*

Il se rassit dans son fauteuil, un petit sourire aimable sur les lèvres :

"Si tous les Eile étaient comme vous, ils gagneraient tous les suffrages..."

Il se prit à rêver lui-même.... Le bilan de cette entrevue, de son point de vue, était plus que positif. Ce qu'il voyait de Gwenliann le confirmait dans son "désir" de l'épouser...

Naïve et surtout ignorante de la vérité, Gwenliann crut sincèrement que le magistrat voulait se repentir de son erreur. Si elle ressentit une once de satisfaction, elle ne le montra cependant pas. Bien trop imbue d'elle-même, elle ne voulait pas lacher l'affaire trop vite, au risque de passer pour une jeune idiote émotive et manipulable à souhait. L'attitude d'Aether l'avait, de toute manière, mise hors d'elle et il lui faudrait un certain temps pour que l'orage s'éloigne. Son visage se para alors de froideur. Ses yeux n'avaient toujours pas retrouvé leur teinte claire et on sentait que la tempête faisait toujours rage au fond d'elle-même.

" J'ai tout de même peine à vous croire, Monsieur... " dit elle en faisant quelques pas vers lui pour s'éloigner de la porte.

" Mais j'aimerai à mon tour vous poser quelques questions... "

Elle reprit finalement place dans son siège, adoptant la même posture qu'à son arrivée. Elle laissa s'écouler quelques secondes avant de reprendre. Elle fixait le jeune homme sans ciller. Jusque là, elle n'avait pas réussi à discerner la véritable nature de son interlocuteur et cela la frustrait beaucoup. Quelque chose lui disait qu'il y avait quelque chose de faux dans son comportement. Cela n'avait rien à voir avec la révélation de son mensonge, encore que cela lui faisait percevoir qu'il y avait peut-être anguille sous roche. C'était surtout cette façon de se cacher derrière ce sourire si affable qui la troublait. Et surtout, le fait qu'il n'ait semblé nullement intimidé par sa soudaine colère. Il s'était excusé, certes, mais il ne paraissait pas avoir été si ébranlé que ça par sa réaction. Comme s'il s'amusait à jouer au chat et à la souris, ne lui révélant qu'un bout du gruyère pour mieux lui sauter dessus.

Gwenliann pinça les lèvres. Elle détestait se sentir ainsi en position d'infériorité. Elle avait l'impression qu'Aether avait une longueur d'avance, peut-être parce qu'il avait vu clair dans son jeu ou bien qu'il connaissait des détails que d'autres ignoraient... Elle avait l'impression d'avoir une épée de Damoclés au dessus de la tête.

" Auriez vous poser les mêmes questions à une personne possédant un double travail, comme moi, si elle n'avait pas été Eile ? Vous qui êtes sensé vous montrer impartial, au service de la justice... "

Sa voix était teintée d'une ironie suave. Elle cherchait un moyen d'inverser la vapeur. Mais plus elle l'observait, plus elle le trouvait impénétrable derrière ce sourire aimable.

Gwenliann avait toujours la dérangeante impression qu'il continuait à mentir à mi-mots. Cette réponse ne la satifaisait pas entièrement et elle avait du mal à décolérer. Son sang continuait de battre dans ses tempes, elle sentait que ses nerfs étaient toujours aiguisés à vif. Son visage était un masque froid, glacial même, pourtant son sang était plus que chaud à l'intérieur. Telle une cocotte minute sous pression, le moindre mot de travers pourrait la faire repartir au quart de tour...

" Allons bon, vous allez essayer la flatterie à présent ? " répliqua t elle, toujours agacée.

Elle n'avait pas envie de laisser sa chance au procureur de se faire pardonner quoi que ce soit. Elle avait même envie de se montrer particulièrement revèche pour lui faire comprendre qu'elle n'était pas du genre à se laisser faire aussi facilement. Son humeur était des plus exécrables et l'air sembler s'en faire ressentir. Mais elle n'en faisait pas grand cas...

" Vous vous intéressez souvent à la cause Eile ? Ou bien est-ce que, comme pour l'étude de mon cas, vous vous y intéressez seulement lorsque vous avez besoin d'un peu d'action dans votre vie palpitante ? "

Gwenliann ne cachait pas l'accusation dans sa voix. Elle ne cherchait pas à se montrer rentre dedans ou particulièrement pugnace, mais elle cherchait à grapiller des informations au sujet de son interlocuteur, cherchant petit à petit à le faire parler dans l'espoir qu'il finisse par révéler quelque chose ou qu'il fasse un faux pas. Ses sourcils étaient toujours froncés, son air concentré. Son regard reflétait aussi une certaine détermination.

" Pardon de me montrer aussi inquisitrice, mais puisque vous parlez de faire connaissance, j'aimerai à mon tour en savoir un peu plus sur vos motivations. Simple échange de bon procédé... "

Sa voix se para brièvement d'une arrogance suave. Son regard était toujours plein de fierté, elle avait le menton levé ce qui lui donnait un petit air hautain. Elle ne cachait cependant pas son jeu, elle se comportait de la même manière qu'elle se comporterait avec n'importe qui. Elle voulait qu'Aether comprenne qu'elle se posait sur un point d'égalité et refuserait de céder la première à ce petit jeu.

Gwenliann hocha doucement la tête et prit un air de compréhension faussé :

" Oh, je vois... " souffla t elle.

" Vous êtes une bonne âme alors... un bon Samaritain... C'est vraiment charmant de votre part... absolument charmant.. "

Bien qu'elle se montre ironique dès ses premiers mots, sa voix ne trahit son sarcasme que graduellement. D'une voix douce et susurrante, elle passa peu à peu à une voix persiflante. Elle n'avait pas abaissé sa garde, se méfiant toujours de cet étrange individu. Lui non plus ne semblait pas vouloir laisser filtrer quoi que ce soit à son sujet. Et contrairement à lui, elle en avait déjà dévoilé bien plus à propos d'elle-même en se montrant aussi hautaine, colérique et éffarouchée.

" Plaideriez vous la cause des Eile ? En toute franchise, dites moi... seriez vous prêt à défendre un Eile même si le reste du monde était contre lui ? "

Elle se réinstalla au fond de son siège, observant le jeune homme d'un air toujours aussi inquisiteur. Elle semblait attendre la moindre petite faille, prête à saisir n'importe quelle occasion pour percer son impénétrabilité. Comme un chat guettant une souris près de son trou, elle était prête à bondir.

Aether lâcha un petit rire. La situation était cocasse... Sa voix respirait la satisfaction. Il devrait bientôt mettre fin à cette entrevue, il risquait de se dévoiler, de se mettre trop en avant. Gwenliann ne lâcherait pas le morceau, elle se montrait insistante et têtue. Cela ne lui déplaisait pas, même si cela pourrait devenir un inconvénient plus tard...

"Vous n'avez pas idée à quel point...."

répondit-il simplement. Laconique et énigmatique, la réponse ne devrait pas satisfaire la jeune femme. Alors, en souriant avec douceur, et en se levant comme pour montrer qu'il était attendu ailleurs, il énonça :

"Ce fut un réel plaisir, mademoiselle Da'l Riada, mais cette entrevue touche à sa fin. Je suis attendu au parquet."

Il faillit rajouter qu'il se reverrait, mais ce serait peut-être lui mettre la puce à l'oreille. Il préféra en rester là : son interlocutrice serait sans doute frustrée, aigrie, très en colère contre lui, mais de toute façon il l'avait déjà bien asticotée. Il fallait la laisser décanter maintenant. Son bilan était positif : Gwenliann avait la fierté et la dignité Eile.
C'était en outre une belle femme, de bonne facture.
Le seul bémol résidait dans son caractère enflammé : de quoi était capable une telle femme au juste lorsque sa passion s'embrasait ? Il devrait le découvrir pour être sur de son choix. Ce petit jeu n'était pas terminé.

Il lui tendit la main, comme il le faisait avec ses confrères, afin de la saluer :


"Au revoir...."

"

Gwenliann baissa les yeux vers cette main qui était tendue. L'homme semblait pousser l'arrogance de plus en plus loin, c'est ainsi qu'elle le percevait en tout cas. Il se comportait avec un air des plus naturels qui eut le don de l'irriter un peu plus. Elle dédaigna donc cette main tendue et le gratifia d'un regard noir.

" Ce fut un plaisir mais pas pour tout le monde... " répliqua t elle, vindicative.

Elle fit quelques pas pour sortir du bureau et sa colère était toujours palpable autour d'elle. Elle ne supportait pas qu'il la congédie ainsi, comme si elle n'était qu'un vulgaire sous-fifre. Ses lèvres s'étaient muées en une expression de dégoût et de fureur.

" Néanmoins, j'espère que nous nous reverrons... Cette conversation est loin d'être terminée... "

Son ton était sifflant et ses yeux s'étaient rétrécis à deux fentes, lui donnant des faux airs de serpent. Pour un peu, on aurait pu s'attendre à ce que deux dents aiguisées sortent de derrière ses lèvres. Elle semblait prête à mordre.

Après un dernier regard meurtrier, elle tourna les talons et s'éloigna en arborant un air dédaigneux. Ses longs cheveux blonds cendrés volaient derrière elle, comme si l'électricité que sa propre colère produisait autour d'elle les faisaient voltiger autour de son front blanc. Ses vêtements du clan produisaient un léger bruit à chacun de ses pas. Elle disparut bientôt du couloir, telle un orage qui s'éloigne peu à peu.