Incognito... [Jack]

Tahoser était parvenue à s'éclipser sans alerter ses suivantes ou ses gardes. La jeune gouverneur pouvait très bien se défendre toute seule, mais le protocole était le protocole. Les siens l'auraient laissée seule, si elle en avait donné l'ordre, mais les stupides magistrats de la cité n'auraient pas fait de même. Un incident diplomatique est si vite arrivé ! En outre, ils tenaient coûte que coûte à ne montrer d'Aïsthèsis que la face reluisante... Mais Tahoser se doutait bien que la médaille devait avoir un revers des plus sombres.
Après tout, il en était de même à Thémis.

Pour se promener inaperçue, la jeune femme avait abandonné les couleurs rouges et flamboyantes de ses tenues habituelles. Elle était vêtue d'une tunique bleue marine, laissant ses bras nues, légèrement échancré sur sa gorge blanche. Un pantalon noir et serré lui tombait jusqu'aux chevilles. Elle avait préféré ne pas se mettre en robe, ses longs cheveux ne l'auraient pas rendue quelconque. A propos de sa chevelure, elle l'avait tressée en une longue natte qui lui tombait jusq'au genoux -seules deux longues mèches tombaient sur le côté, encadrant son visage-, elle n'avait pas trop le choix, même si d'habitude elle préférait laisser ses cheveux liberté. A sa ceinture, elle portait discrètement un coutelas.

Elle avait flâné dans les rues avant de s'enfoncer dans des ruelles de plus en plus sombres... Bientôt, les relents d'Aïsthèsis lui furent dévoilés : voleurs, prostituées, vendeurs d'opium... Elle croisa toute une faune étrange qu'on ne trouvait pas à Thémis : leur système autoritaire ne permettait pas à ce genre de commerce de l'ombre de voir le jour. La violence était sacralisée et rendue publique, on exilait ou éliminait les faibles à leur majorité et ne gardait que les citoyens dignes de faire prospérer la cité.

Malgré tout, il n'y avait aucun mépris dans le regard que Tahoser promenait sur ses gens. Elle avait conscience que son peuple choisissait la façon de faciliter en agissant comme il le faisait, mais c'était une loi millénaire, et la loi est la loi.
La jeune femme marchait cependant avec un port altier, le front haut, les yeux francs et inquisiteurs.

Elle avait fini par se retrouver au fin fond des bas quartiers, et au fur et à mesure qu'elle avançait, la populace autour d'elle la dévisageait d'un oeil mauvais. Les prostituées médisaient tout bas, se demandant si c'était une nouvelle ou une simple citadine perdue. Tahoser portait des vêtements juste corrects, mais sa démarche et l'éclat de son regard trahissaient sa véritable nature. Elle n'était pas des leurs, elle ne semblait pas vivre dans la crasse.

Un homme qui chiquait du tabac avec un compagnon, vêtues tout deux comme deux loubards patibulaires, cracha par terre, un sourire goguenard sur les lèvres... Il fit signe à son compère, et tous deux s'approchèrent de Tahoser.

"Hé, toi !"

Tahoser se tourna vers lui, sans aucun signe d'agitation, et elle le considéra de son regard limpide et froid.

"C'est combien ?"

La jeune femme laissa planer un silence neutre. Elle l'avait bien imprimé le visage de cette homme dans sa tête.
Et elle ne répondit rien. Sa fierté lui interdisait de prêter attention à ce genre d'invidus. Et surtout... elle ne comptait pas faire tomber sa couverture pour un prétexte aussi stupide. Pour l'instant, personne ne se rappelerait d'elle le lendemain, mais si elle venait à se battre l'histoire de la dame aux longs cheveux mauves cassant la figure des gueux se répandrait bien vite. Et on saurait assez facilement retrouver l'identité de la demoiselle.

Non loin de là, deux hommes semblaient être en pleine conversation. A demi couvert par les ombres de la rue, on ne distinguait que le visage du premier : il s'agissait d'un homme assez courtaud, le visage bouffi et brillant de sueur. Il était animé de mimiques désolés tandis qu'il s'adressait à voix basse au deuxième qu'on ne pouvait pas encore distinguer nettement étant donné qu'il était noyé dans l'ombre d'un auvent crasseux.

" Je m'arrangerai pour vous trouver ça, Jack, mais en ce moment, je ne peux rien vous garantir ! Mais, mais, mais.... je vais faire de mon mieux pour que vous contentez dans les plus brefs délais ! " balbutiait le courtaud tandis que son interlocuteur semblait le menacer du regard.

" Je préfère ça... N'oublie pas pourquoi ton misérable établissement tient encore debout. Je pourrai bien revenir sur ma décision... " gronda la voix de l'homme plongé dans l'ombre.

Le petit homme acquiesça vivement en clamant des "Merci !" fébriles et pathétiques. Mais déjà, son interlocuteur se désintéressait de lui et sortait de l'ombre pour passer son chemin, venant ainsi à la rencontre de Tahoser sans le savoir.

Vêtu d'un long manteau de cuir noir élimé, son tricorne vissé sur la tête, Jack avançait parmi les parias de la société avec autant d'aisance qu'un prince au milieu de sa cour. Le regard qu'il promenait autour de lui était dénué de toute curiosité, il connaissait parfaitement chaque recoin et chaque visage dans cette Cour des Miracles d'Aïsthèsis. Il ne s'étonnait plus des trafics qui s'y faisaient, souriait ou adressait quelques clins d'oeil aux prostituées qu'il connaissait. Au milieu de ce balet de la filouterie, un visage en particulier attira son attention. Ce visage-là, il ne le connaissait pas...

Ralentissant le pas, il s'avança dans la direction de la jeune femme. Il en profita pour détailler ses traits et il put affirmer avec certitude qu'elle ne faisait pas partie de ce monde, malgré son allure modeste. Elle possédait un port altier qui ne correspondait pas à la vulgarité des femmes de petite vertu. Elle ressortait dans ce décor de la même manière que lui s'y confondait. Ils appartenaient à deux mondes différents, c'était certain, mais ce visage d'ange semblait s'être égaré dans les tréfonds de l'Enfer...

Alors qu'il n'était encore qu'à quelques mètres d'elle, un homme s'approcha de la jeune femme pour solliciter des services qu'elle ne rendait certainement pas. Jack s'arrêta un instant, ses yeux disparaissaient presque dans l'ombre de son tricorne. Il avait le regard calculateur.

Quelques secondes plus tard, il posait sa main sur l'épaule de l'homme et sa voix résonna autour d'eux avec une sonorité mat et grave :

" Je croyais qu'il y avait longtemps que tu n'étais plus capable de contenter une femme, Kurt... Si j'avais su, je n'aurai pas accorder ce privilège à ta femme... "

L'ironie perçait dans cette voix mais aussi un ordre impérieux et sous-jacent de déguerpir. Si le dénommé Kurt avait pu distinguer le regard du pirate, il se serait rendu compte qu'il n'avait rien d'avenant...

Le regard de Tahoser s'était porté sur ce nouvel arrivant au sombre aspect... Sa tenue de roturier n'était pas sans noblesse, et elle remarqua tout de suite le tricorne sur sa tête. Un marin ? Mmmh, en même temps la mode des chapeaux à trois pointes avaient contaminé bien du monde. L'homme paraissait suffisamment dur néanmoins pour être l'un de ces chevaliers des flots qui s'arrêtaient parfois à Thémis pour conter leurs aventures au gouverneur.

Elle ne percevait pas son regard, chose qui la dérangea, car c'était ainsi qu'elle jaugeait ses interlocuteurs. Seul la voix de l'invidivu lui permit de cerner les premiers aspects de son caractère : cynique et même mordant.
Le dénommé Kurt était devenu livide, des frissons de colère avaient couru sous sa peau, mais son compagnon le retint : lui avait vu les yeux du pirate, et il savait que son ami allait au devant de graves dangers s'il répondait à la provocation. En plus, l'identité de l'homme au tricorne leur était bien connue... Surtout pour Kurt, et un doute affreux s'était insinué en lui : Jack disait-il vrai ou ne faisait-il que jouer avec lui. L'homme avait fait cependant un pas pour se soustraire à la main de Jack, son contact lui était insupportable !

Tahoser cligna des yeux, sereines, puis elle afficha une mine plus perplexe mais ironique. L'un de ses sourcils s'étaient relevés, et elle murmura d'une voix un brin narquoise :

"Voilà qui risque d'augmenter considérablement mes prix, Mr Kurt..."

Il y avait dans sa voix quelque chose de sûr et de ferme, comme quelqu'un qui ne doute pas et qui n'a pas l'habitude de se faire rabrouer. Le statut de Tahoser lui avait conféré une assurance naturelle sans la faire paraître arrogante. Mais pour certains c'était pire, car elle semblait mériter cette confiance en elle à sa juste mesure et se retrouver bien dans sa peau, ce qui était le cas de peu de monde. On pardonne rarement aux gens d'être heureux tels qu'ils sont.

Kurt était encore tendu, une rage sourde était montée en lui. Mais son compagnon tenait toujours son bras.... S'il ne pouvait pas exploser sur un pirate, sans doute le pourrait-il sur la femme ! Même si Jack semblait intervenir plus ou moins en la faveur de cette âme perdue, il estimait qu'il était dans son bon droit et que le capitaine n'aurait rien à y redire.

Alors il fit une redoutable erreur : il leva la main, et la porta sur Tahoser. La jeune femme avait réagi promptement, elle l'avait saisi par le poignet et avait retourné son bras avec une violence aussi subite qu'inouïe, l'homme laissa sortir un cri douleur : Tahoser lui avait déboité l'épaule. Elle l'avait en outre retourné, de sorte qu'il était front baissé, dans l'incapacité de la voir.

"Me suis-je irritée de votre confusion ?"

dit doucement la femme, et avec une ironie évidente. Elle se doutait bien que cet imbécile l'avait provoquée par pu plaisir.

"Certes non... Alors vous devriez vous aussi apprendre à..."

Et avec un geste aussi violent que le premier, elle le rammena à sa position initiale, dans un claquement d'os. L'homme poussa un nouveau cri qui se mua en un râme de soulagement : la jeune femme lui avait réemboîté l'épaule.

".... relativiser...."

Et lui redonnant l'usage de son bras, Tahoser avait illustré son propos : elle avait été fair-play. L'homme fit rouler son épaule en la massant, un peu hagard, il n'y aurait aucune trace de la douleur, sa souffrance avait été vive mais éphémère. Il considéra la jeune femme, toujours placide, toujours sereine... Le contraste entre ses gestes, sa force et son attitude l'avait désarçonné, il ne savait plus comment réagir.

Puis Tahoser le toisa avec plus d'orgueil, son regard le fusilla tandis qu'elle croisait les bras, considérant avec dédain cet homme si faible...
Il y avait une véritable lueur assassine dans les yeux de Tahoser. Le compagnon du malotru le prit par le bras :

"Allez, viens, ça n'en vaut pas la peine..."

Mais l'autre homme ne bougea pas, son attention se portant de Tahoser à Jack... Une part de lui réclamait vengeance pour le double affront qu'il venait de subir...

Un sourire en coin était apparu sur les lèvres du pirate tandis que Kurt subissait une deuxième humiliation en se faisait mener par une femme. Il ne perdit pas une miette de ce spectacle, profitant de ce cours intermède pour commencer à dresser le portrait de la jeune femme. Et une chose lui plut énormément chez elle : elle n'était pas ce qu'elle paraissait être. A savoir une femme frêle et sans défense. Sans compter qu'elle avait aussi de la repartie. Il se félicita intérieurement d'avoir eu le réflexe d'aller vers elle. Il ne perdrait probablement pas son temps...

Cependant, il n'en savait encore que trop peu à son sujet et il se devait de rester sur ses gardes. Il restait voilé par l'ombre de son tricorne, seul son sourire se distinguait sur son visage. Ses yeux anthracites s'étaient allumés comme deux pierres translucides ; il était particulièrement attentif.

Lorsque le regard de Kurt revint vers lui, son attitude entière sembla respirer le sarcasme et la raillerie. L'homme voulait chercher querelle mais il s'était déjà bien fait mener jusque là et il prenait un nouveau risque. Les mains plantées dans les poches de sa veste, Jack releva très légèrement la tête, laissant le gris acier de ses yeux refléter la lumière tamisée et glauque des bas quartiers. Mais ils restaient tout de même noyés dans l'ombre, à la manière du sourire pervers du Chat du Cheshire restant suspendu dans les airs. Une lueur vicieuse animait ce regard mais ce n'était pas un vice complétement malsain. Le pirate n'avait rien du psychopathe notoire...

" Passe le bonjour à ta femme de ma part... " lança t il comme une ultime provocation.

Il lui assena un léger coup à son épaule déjà meurtrie, comme on pousserait un gamin pour l'écarter de son chemin. Il fit quelques pas vers Tahoser, la lumière se fraya un chemin vers son regard mais au moment où elle allait atteindre la lisière de ses cils, un léger bruit metalique résonna dans l'air. Le temps sembla se suspendre un instant puis Jack se retourna vivement.

Un violent coup de pied au thorax envoya valser le dénommé Kurt contre un mur. Il lacha le poignard qu'il avait dégainé, essayant de retrouver son souffle, coupé sous le choc. Une fine trace rouge ornait le fil de la lame.

" Estime toi heureux que je n'ai pas frappé plus bas ou bien tu n'aurais vraiment plus été capable de donner du plaisir à une femme... " gronda la voix de Jack.

Il tournait le dos à la jeune femme à présent. Son tricorne était tombé au sol au moment où il avait fait rapidement volte face, libérant ainsi sa longue chevelure argenté retenue par un simple ruban de cuir noir.

" Va en Enfer, Ravenheart ! " haleta Kurt tandis que son compagnon l'emmenait plus loin.

" Pas avec toi, mon gars... " répondit le capitaine.

Puis, une fois que les deux hommes furent assez éloignés, il se retourna vers Tahoser. Les traits de son visage étaient à présent parfaitement visibles. Une estafilade pourpre ornait à présent sa joue. Mais il ne semblait pas y prendre garde, il arborait toujours son éternel sourire en coin...

Les hommes étaient décidemment très regardant vis à vis de leur virilité... Tout comme les femmes s'enorgueillaient de leurs charmes. "Vanité, tout n'est vanité" songea Tahoser avec un sourire en coin. Elle avait ramassé le tricorne sans baisser les yeux, de sorte qu'elle surveillait toujours ses interlocuteurs. Elle ne connaissait rien de cet homme qui était intervenu en défaveur de son inopportun, et rien ne disait qu'il serait plus courtois. Pourtant, en considérant son petit sourire aux bords de ses lèvres, la jeune femme eut l'impression d'avoir affaire à un homme d'une autre sorte.

Il s'était révélé bien malgré lui, et on avait scandé son nom. Il frappa l'esprit de Tahoser comme un fouet : Ravenheart ? Le capitaine du Raven ? Ce n'était pas un nom très commun, et le tricorne ainsi que la chevelure argentée semblaient attester son identité. Tahoser avait accueilli il y a quelques mois sur son île des pirates qui lui avaient conté durant toute une longue soirée leur périple. Ils avaient cité les noms de confrères, celui de "Jack Ravenheart" était venu dans la conversation. Certains avaient parlé de cet homme avec une pointe de jalousie : ce capitaine était plutôt connu, et ils furent heureux de constater qu'il était encore un illustre inconnu à Thémis. Mais ce qui retint davantage l'attention de Tahoser ce n'était pas les exploits virils et criminels qu'on attribuait au capitaine Ravenheart, mais le fait qu'il avait instauré un pacte de non-agression avec la cité d'Aïsthèsis.

Tahoser lui tendit son tricorne en considérant son visage. Ses yeux s'arrêtèrent sur l'estafilade qui barrait sa joue à présent.

"Hé bien, monsieur, vous tournez trop facilement le dos à vos ennemis..."

murmura-t-elle doucement, le visage impassible. Puis un sourire léger se fixa sur ses lèvres. Il y avait eu une note de sévérité dans ses yeux, car elle avait l'habitude de réprimander ses troupes lorsqu'elle commettait des imprudences. Mais elle n'alla pas jusqu'à gronder un inconnu, elle ne souffrait pas à ce point de déformation professionnelle.

"Mais cela aura eu la vertu de vous découvrir..."

ajouta-t-elle, plongeant son regard de flots impétueux dans le métal gris des siens. Il lui avait semblé bien mystérieux, et voir son visage dans son entier lui permettait de se sentir plus en confiance. Une part de l'étrangeté et de l'inconnu s'en était allée.
De plus.... il n'était pas désagréable à regarder.

"Ravenheart... Comme... le capitaine Ravenheart ?"

s'enquit-elle. La question était presque rhétorique, beaucoup d'éléments l'avaient mise sur la voie mais il pouvait toujours ne s'agir que d'un concours de circonstances... Autant poser la question sans attendre.

Jack saisit le tricorne que la jeune femme lui tendait. Mais il le garda un instant à la main. Puisqu'il était dévoilé à présent, plus la peine de jouer les chevaliers mystères Il ne s'offusqua pas non plus de ce léger reproche qu'elle fit, au contraire, il répondit d'ailleurs avec son ironie caractéristique :

" Kurt, un ennemi ? Allons bon, la seule personne qu'il risque de blesser gravement, c'est lui-même... Rolling Eyes

"

Il essuya machinalement le sang qui perlait à sa joue sans vraiment calculer ce geste. Il avait vu bien pire et ce genre de petits désagréments faisait son lot quasi-quotidien. De plus, il avait plus important en tête à ce moment-là.

Il avait perdu l'avantage de l'anonymat face à sa jeune interlocutrice. Elle connaissait à présent son nom et au vu de sa connaissance de son statut, elle devait aussi connaître sa réputation. Et bien, l'apparition mystérieuse serait pour une autre fois En revanche, il ignorait toujours son identité à elle. Et la singularité de cette femme le rendait particulièrement curieux. Au grand étonnement de certains, il ne pensa pas immédiatement à la façon dont il allait procéder pour la mettre dans son lit, il n'était pas assez idiot pour penser qu'elle se laisserait faire aussi facilement qu'une vulgaire catin.

Il flottait comme une aura de mystère autour de Tahoser, il sentait qu'avant toute tentative de drague, il devrait d'abord percer ce voile invisible qui les séparait aussi sûrement qu'il était pirate.

" Lui-même, en personne... " répondit il en remettant son tricorne sur sa tête mais de manière à laisser les traits de son visage encore bien visibles.

" C'est assez effrayant de constater que ma réputation me précède, il me devient impossible de faire trois pas en restant incognito... "

Il fit un pas vers elle, sembla hésiter à prendre son bras puis se ravisa en se souvenant du sort de ce pauvre Kurt . Il se contenta de lui ouvrir le passage et de l'inviter à avancer :

" Mais si vous désirez poursuivre cette conversation, je suggère que nous nous trouvions un endroit plus calme... "

Subtile manière de lui laisser le choix de faire connaissance ou non alors que c'était lui qui aspirait à en apprendre un peu plus à son sujet.

La verve pirate et son ironie... Mais il aurait suffi de deux centimètre de plus en profondeur pour qu'une simple petite estafilade se transforme en drame. Tahoser avait le chic pour trouver la petite bébêtte, mais c'était sa charge de gouverneur qui la rendait si perfectionniste. Elle sourit cependant, n'ayant rien à redire devant cette remarque. Le pauvre Kurt en prenait pour son grade mais ces propos sonnaient bien juste...

"Réjouissez-vous plutôt, les simples mortels doivent vous envier. Qui n'aimerait pas être vivre de célébrité et d'eau fraîche ?"

lança-t-elle sur un ton anodin. Sa phrase sousentendait qu'elle devait faire partie des simples mortels, sans pour autant le dire. Tahoser était justement en train de protéger son identité, elle n'avait pas envie de voir débarquer ses gardiens en courant, il n'y aurait rien de mieux pour lui faire honte. Les gardiens de Thémis étaient de bons combattants, mais ils devenaient soupe-au-lait quand ils pensent leur gouverneur en danger.

D'un signe de tête, elle indiqua qu'elle acceptait l'invitation. Elle aussi nourrissait une vive curiosité à l'égard de Jack, même si elle connaissait son identité. Le plus dur serait de satisfaire sa soif sans rendre la pareille à son interlocuteur. Ce serait compliqué mais pas impossible...

"Vous avez des frères d'armes qui parlent beaucoup en fait. Entre jalousie et admiration, ils narrent vos exploits assez facilement quand on leur promet une bouteille de bon rhum. "

Elle aurait pu donner des noms mais elle n'allait pas vendre ces pauvres âmes alcoolisées qui s'étaient embourbées dans les délices de son île. Elle savait se montrer discrète, c'était ainsi qu'elle témoignait son respect aux marins qui acceptaient de partager ses aventures avec elle.

Elle emboîta donc la marche, et elle ajouta d'une voix douce, mais on sentait dedans un enthousiasme caché, tapi derrière l'apparent orgueil et placidité de la belle :

"J'aime entendre les pirates conter leurs voyages... Les Corsaires sont trop arrogants et moralistes, les marchants trop portés sur les chiffres et les étoffes. Leur récit n'ont pas la crudité et la saveur de l'histoire d'un vrai flibustier..."

Bien sur, cette déclaration était une demande à peine voilée. Tahoser voulait cacher son identité, mais elle ne dissimulerait son goût certain des voyages, et elle espérait bien que le fameux capitaine Ravenheart ne se ferait pas prier davantage pour la satisfaire.

Jack lui emboîta le pas, jetant un dernier coup d'oeil par dessus son épaule comme pour vérifier que Kurt n'avait pas décidé de revenir à la charge. Il se maintint au niveau de la jeune femme, lui donnant l'impression qu'elle menait la marche mais en réalité, il l'emmenait dans des rues un peu moins sordides dans lesquelles ils avaient moins de chance d'être dérangés.

" Ceux qui m'envient ne savent pas à quel point ça peut être frustrant de ne plus jouir d'un effet de surprise... Je suis obligé de le ménager d'une autre manière si je veux faire un peu durer le jeu... " répondit il alors.

Et il sous-entendait à son tour qu'il serait très prudent sur ce qu'il laisserait échapper à son sujet par la suite. Jack fonctionnait sur un système d'égalité : une confidence devait en entraîner une autre. Sous le couvert de cette fausse révélation, lancée d'ailleurs sur le ton de l'ironie plutôt que celui de la confidence, il instaurait dores et déjà les premières règles de leur conversation.

Il ignorait toujours l'identité de la jeune femme et il lui faudrait probablement user de toute la subilité possible pour arriver à en découvrir un peu plus à son propos. Il continua alors la conversation à son sujet, mais...

" Certains pirates ont en effet la langue bien pendue quand on leur fait miroiter la promesse d'un simple verre. Vous devez cependant être vraiment très... avide de ce genre de récits pour en venir à offrir des bouteilles de rhum contre quelques histoires... "

... doucement, il faisait glisser la conversation vers Tahoser pour commencer à grapiller de menues informations à son propos. Rien qu'en l'observant, il pouvait deviner quelques détails sur sa personnalité et son origine sociale mais rien de vraiment précis. Et rien d'irréfutable. Il l'avait instinctivement casé dans une pseudo-bourgeoisie proche des classes dirigeantes mais elle pouvait tout aussi bien avoir le profil des assassins légalisés au sein de la ville d'Aïsthèsis. Il avait remarqué l'arme qu'elle portait discrétement. Mais il prit cependant garde à ne pas trop la dévisager, on pouvait très bien cacher sa véritable nature derrière une attitude des plus fausses.

Mmmh, visiblement le pirate déplorait qu'ils ne soient pas à égalité au niveau des informations. Tahoser sentit qu'une sorte de petit jeu venait de s'instaurer entre eux. Cette conversation s'annonçait passionante, si la jeune femme arrivait à laisser penser à son interlocuteur que les échanges étaient équivalents.
Elle ne refusait pas de parler d'elle-même, il fallait juste qu'elle évite toute donnée ou propos qui permettraient de la classer parmi les chefs d'état et les habitants de Thémis.

"Je n'ai jamais eu l'occasion de prendre la mer comme je l'aurais souhaité..."

répondit-elle, mais sa phrase avait l'échos des mystères, il fallait qu'elle éclaircisse ses paroles en douceur.

"Les navigateurs craignent la présence d'une femme sur son navire comme si nous allions gratter la coque avec nos ongles..."

commença-t-elle, comme pour noyer le poisson. Ce prétexte était des plus justes, les pirates plus que les autres d'ailleurs intégraient peu de femmes parmi les leurs. Peut-être que cet argument sonnerait juste aux oreilles de Jack, mais Tahoser poursuivit :

"J'en ai pris mon parti depuis longtemps... Je me contente de vivre par procuration ces fabuleux voyages... Et quelques verres de rhum, ce n'est pas cher payé pour une heure de rêverie. Je n'ai rien à offrir d'autre..."

Des pirates avaient déjà essayé de la séduire, mais ce n'était pas vraiment à cela que Tahoser pensait... Elle préférait adopter une attitude humble, comme si elle n'était qu'une simple jeune femme dans l'incapacité de réaliser ses aspirations. Cela ne la dérangeait pas, car elle savait qu'un jour elle pourrait se révéler telle qu'elle est au capitaine. Mais elle se doutait que le pirate ne se laisserait pas duper : il avait vu qu'elle était rompue aux arts du combat, et il avait dû comprendre qu'elle n'était pas d'Aïsthèsis.
Il comprendrait alors que sa réponse était une façon de lui dire qu'elle ne se dévoilerait pas aussi facilement, et qu'il faudrait creuser pour en apprendre un peu plus sur elle.

Elle avait remarqué qu'il menait la marche, semblant de rien, mais elle le laissa faire. Qu'il ait au moins cet avantage, elle lui devait bien.

Son regard allait de temps à autre vers Jack, appréciant les traits de ce voyageur, comme si en les confinant bien au coeur de sa mémoire, elle pourrait revivre ces petits instants de liberté qu'elle s'accordait incognité dans cette cité si éloignée de sa patrie.

Jack songea alors qu'elle avait sans doute autre chose à offrir que des pirates pourraient convoiter, autre que le rhum, mais il eut la sagesse de ne pas le faire remarquer. Ce n'était pas le moment de mettre sa nouvelle connaissance en rogne. Il saisissait cependant bien le message ; elle ne devait pas être une fille facile si elle arrivait à contenter quelques marins avec une bouteille de rhum.

Car il aurait fallu être aveugle pour ne pas remarquer qu'elle avait tous les atours pour inciter le désir chez un homme. Un désir de convoitise même, comparable à l'avidité dont ils faisaient preuve quand on leur faisait miroiter des myriades de trésor. Les femmes étaient un trésor de plus qui, consommées trop rapidement, n'offraient qu'un plaisir éphémère, tout comme les pièces d'or d'un coffret qu'on dilapiderait trop rapidement.

" La plupart des femmes se contente parfaitement de rester à terre et ne cherche pas à savoir ce qu'il se passe au delà de la frontière de leur cité... Rolling Eyes

" répondit il alors.

Il assimila parfaitement l'excuse donnée par Tahoser mais quelque chose le poussait à en savoir tout de même un peu plus. Le ton de sa voix reflétait la mysoginie dont il faisait très souvent montre.

" Cela doit être tout de même frustrant de se contenter de récits rapportés. Surtout que la plupart des histoires racontées par les marins mêlent souvent beaucoup de faux au vrai. Ceux qui n'osent pas s'aventurer plus loin que les eaux territoriales vont vous raconter qu'ils ont du combattre un kraken effrayant alors qu'ils ont sans doute seulement croisé un banc de sardines... "

Il tourna les yeux vers elle, ralentissant un peu le pas, et son regard se fit inquisiteur et même un brin moqueur, une moquerie dénuée de méchanceté cependant.

" J'ai du mal à croire qu'une femme qui soit capable de tenir un homme en respect n'ait jamais tenté de passer outre cette superstition purement sexiste... " fit il alors remarquer avec une pointe d'ironie douce.

Il n'y avait pas que parmi les femmes que l'on trouvait des individus étriqués, confinés dans un même habitant jusqu'à la fin de leurs jours, mais Tahoser n'entraîna pas son interlocuteur dans cette voie féministe : cela l'importait peu. Changer les mentalités ne l'intéressaient pas lorsqu'elle n'avait pas affaire à ses sujets. Jack ne faisait pas partie des siens, il était libre de penser ce qu'il voulait.
Libre...

Elle aurait pu rétorquer, concernant la fausseté des récits des marins, que son île étant reculée ceux qui parvenaient devant elle avaient forcément affronté les éléments et les dangers. Bien sur, ils pouvaient mentir, embellir la vérité, mais Tahoser avait le recul nécessaire pour démêler le vrai du faux. Au pire, les mensonges éhontés la faisaient sourire, ils rendaient bien souvent les pauvres bougres les proférant ridicules à souhait.
Mais en répondant ainsi, elle aurait déjà révélé qu'elle venait d'une terre lointaine. Alors elle se contenta de répliquer :

"Les grands mythomanes sont aisément repérables... Et ma foi, cela peut être drôle de rechercher la part de vérité dans leur récit. On recoupe les témoignages, on demande des preuves... Généralement, lorsque j'ai un doute, et que mon interlocuteur proclame des exploits guerriers, je le défie en duel. Amicalement, bien sur. On peut mentir avec des paroles, mais l'adresse à lépée ne ment pas. C'est aussi une façon efficace de tester leur courage."

Tahoser n'avait pas à le cacher, le capitaine du Raven avait déjà bien compris qu'elle savait se battre. La jeune femme cachait son identité mais elle ne voulait pas non plus jouer les jeunes bourgeoises craintives.
Elle ne restait pas passive devant les histoires qu'on lui racontait, elle était prête à tout pour vérifier les propos douteux. Elle avait même, une fois, organisé une reconstitution de bataille navale pour mettre à l'épreuve un capitaine un peu vantard. Le peuple de Thémis avait participé au spectacle avec beaucoup de ferveur, un peu trop même... Il n'y eut pas de morts mais les maisons de guérison furent pleines à craquer. Et le dit capitaine se sauva en catimini à l'issue de sa défaite, jamais plus il ne revint sur l'île de Thémis.

Tahoser se sentit titillée dans sa fierté... Elle avait capté cette ironie malicieux dans les yeux de Jack. Son regard à elle sembla renvoyer de la foudre, mais elle ne pouvait pas se laisser mener ainsi, elle arbora un air paisible, avec un petit sourire en coin comme lui dire qu'elle n'allait pas céder comme ça devant ses gentilles provocations :

"Tenir un rustre en respect est une chose, mais qu'en serait-il devant un équipage au grand complet ? Ce n'est pas tout à fait la même chose, capitaine."

Ces mots lui en coûtaient, elle qui mettait au pas un peuple entier ! Mais elle maintenait son calme, marchant toujours avec cet orgueil nimbé de sérénité.

La voix douce, quoiqu'ironique, elle reprit :

"Superstition purement sexiste... Mais vous n'êtes pas connu pour prôner l'égalité des sexes, capitaine Ravenheart."

Elle voulait rammener la conversation sur lui, et elle commencerait par faire tomber les faux portraits qu'on lui avait donné de lui, ou alors elle confirmerait des rumeurs tout à fait fondées. Jack lui avait été décrit comme un coureur de jupons, et vu son attitude avec le pauvre Kurt, il semblait mériter sa réputation.
Tahoser, cependant, n'avait pas l'air de le juger ou de lui faire des reproches. Elle semblait curieuse, et légèrement amusée par ce phénomène.

Jack eut un léger rire ; la jeune femme ne cherchait pas seulement l'exaltation des histoires de voyages et de périples en mer, elle voulait les revivre dans leur plus vive exactitude. Cela lui donnait quelques détails sur sa personnalité mais rien qui ne puisse lui permettre de faire un portrait satisfaisant. Tahoser semblait s'exprimer avec tact, ne se livrant pas assez pour être découverte et jouant jusqu'au bout la carte du mystère. Cela fit encore plus sourire le pirate.

" Vous êtes minutieuse alors... " constata t il.

* Et probablement assez autoritaire pour être capable de défier quelqu'un de cette manière... *

Il garda cependant cette pensée pour lui, il faudrait qu'il creuse la question. Il arrivait à tirer quelques petites conclusions sur son originale sociale, il était de plus en plus convaincu qu'elle appartenait à la classe dirigeante. Mais il ignorait d'où - si elle avait été d'Aïsthèsis, il aurait pu la croiser à maintes reprises, il était sûr et certain de ne pas oublier quelqu'un de cette prestance. Beaucoup de questions restaient encore en suspend mais il avait tout son temps pour y trouver des réponses...

" La vie sans risque n'a aucun intérêt, aucun attrait... Vous savez, sur un navire, quel qu'il soit, il suffit de tenir en respect le plus rustre de tout l'équipage - le plus souvent, c'est celui qu'on a nommé capitaine Rolling Eyes

- pour arriver à tenir le reste des hommes. Pensez y, si un jour vous décidez de sauter le pas et que les paroles ne vous suffisent plus... "

Il eut un sourire des plus ironiques qui signifiait très clairement : "Cependant, je vous déconseille d'essayer avec moi, vous seriez déçue... ".

Puis la conversation revint de plus bel vers lui ; ils semblaient se renvoyer la balle, chacun essayant de se préserver de l'autre. La jeune femme rappellait d'ailleurs bien la longueur d'avance qu'elle avait en continuant d'évoquer sa réputation et les rumeurs qui la constituaient - et les rumeurs ont toujours un fond de vérité.

" Je ne prétendrai pas le contraire, ce serait vous mentir et vous vous en douteriez très rapidement Rolling Eyes

" répondit il avec honnêteté.

" Je ne jugeais pas la nature profonde de cette croyance, je ne fais qu'en constater les tenants et les aboutissants les plus évidents. Les lapins pourraient aussi nous accuser de racisme vu qu'ils sont aussi bannis de notre univers. Mais ils sont encore moins avantagés puisqu'ils n'ont pas l'usage de la parole... et qu'ils n'ont pas non plus les atours que possèdent les femmes pour nous faire oublier qu'elles sont de viles tentatrices... "

Sa voix était purement ironique de bout en bout. Cependant, il mettait en exergue l'une des raisons qui provoquait son refus de voir des femmes à bord de son navire : bien malgré elles parfois, elles offraient une distraction aux hommes qu'ils ne pouvaient pas se permettre en pleine mer. Ses compliments envers les femmes étaient aussi voilés par le fond sarcastique de ses propos ; il était cependant capable de reconnaître les qualités qui différenciaient hommes et femmes et qui rendaient ces dernières si attirantes à ses yeux.

Sa quête de plaisir n'avait pas seulement pour but le seul plaisir de la chair. Chaque femme qu'il avait tenu dans ses bras avait ses particularités et il prenait aussi beaucoup de plaisir à découvrir ce qui rendait chacune d'elles unique. Certaines femmes étaient plus complexes que d'autres et demandaient plus de temps pour les découvrir entièrement et les savourer doucement.

Cependant, il ne fallait pas se leurrer non plus ; il ne cherchait pas à les connaître pour ce qu'elles étaient au plus profond d'elles

Elle considéra longuement Jack : le plus rustre était nommé capitaine ? Hé bien, ça promettait sur le Raven, ce devait être une bande de joyeux drilles... Elle ne pouvait pas rebondir là-dessus : sinon elle devrait trouver une autre raison pour ne pas se lancer dans les voyages. Elle devait faire taire son caractère enflammé et se dissimulait sous un aspect de fausse prudence. Car après tout il n'y avait rien de plus hasardeux que les mouvements de foule, et tenir le mâle dominant en respect ne pourrait pas garantir la sécurité à 100 % ...

"J'y songerai..."

dit-elle simplement, avant de froncer les sourcils. Elle finit par lâcher une petite exclamation désabusée et elle rétorqua :

"Je ne cautionnerai pas cette comparaison avec des lapins... Rolling Eyes

Sauf si l'on admet qu'ils sont aussi tentateurs dans une assiette entre deux rondelles de citron..."

A thémis, il n'y avait pas vraiment de clivage hommes-femmes. Parmi les Gardiens, parmis les navigateurs de l'île, il y avait autant d'éléments masculins que féminins. La question de la tentation ne se posait pas. De toute façon, un individu capable devait d'abord affronter ses propres démons pour être digne de remplir la tâche qu'il s'était assigné dans la vie. Aussi, Tahoser considérait que le tort n'incombait qu'à celui qui était tenté, et non pas à l'objet tentateur, et succomber à la tentation était une faiblesse.
La faiblesse était la plus grande honte pour un habitant de son île. Mais elle ne voyait pas comment elle pourrait défendre sa thèse sans donner des informations qui la trahirait.
Pour le moment, elle avait juste fait un soupçon d'humour en poursuivant sur la lancée des lapins.

"C'est bien triste, je me verrai obligé de naviguer parmi une troupe d'amazones si tous les hommes se révèlent aussi peu maîtres d'eux-mêmes..."

Sa voix avait pris un ton dégagé, léger, presque joyeux -presque !-, de même que sa posture s'était raffermie. Plus digne, plus altière, il y avait un sentiment de supériorité évident dans sa démarche, et c'était peut-être cela qui l'égayait. Et pourtant, elle conservait quelque chose d'avenant sur ses traits, une humanité bienveillante qui la différenciait d'un "chef" comme Connor. Son arrogance était humble.

"Est-ce donc si dur de supporter la présence d'une femme à bord d'un navire ? Ou même ailleurs..."

finit-elle par demander, un brin compatissante, mais on sentait l'ironie sous-jacente.

"A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire..."

poursuivit-elle, citant un dramaturge célèbre. C'était facile de laisser les femmes pour ne pas subir la tentation... Et c'était surtout facile de leur repprocher leurs atours tout en les louant, mais un homme, un vrai, devait savoir dominer ses désirs.

Et comme ils étaient dans le domaine des tentations, cela inspira à Tahoser une petite question..

"Mais dites-moi, capitaine... Dans le cas où parmi les membres de l'équipage il y aurait des hommes... aimant les hommes... comment la distraction engendrée est-elle gérée ? Refusez-vous toutes les femmes, quelque soit leur sexe ? Razz

"

Elle commençait à fantasmer éveillée : imaginez ! Un équipage d'hommes virils, aux torses luisants, sous le soleil, les muscle saillants... et se jetant des regards langoureux. L'image lui arracha un sourire, surtout qu'elle esssaya d'imaginer le capitaine faisant des clin d'oeil à un bellâtre taillé de la même sorte.

Jack écoutait les paroles de sa jeune interlocutrice d'une oreille attentive et amusée. Elle faisait montre d'une certaine ironie, elle aussi, mais elle avait une façon d'arborer le sarcasme bien plus "classieux" que lui. Cela le faisait doucement sourire car le résultat n'offrait nul contraste étrange mais au contraire, semblait fondre à la perfection l'arrogance légère de la jeune femme à son ironie. Le final était des plus plaisants à écouter.

Cependant, il n'oubliait pas qu'ils semblaient tous deux poursuivre un même but : mettre l'autre à nu sans pour autant se dévoiler de trop. Il avait déjà perdu sa chemise ( ) mais comptait bien arriver à lui arracher quelques uns de ses voiles avant qu'elle ne soit la première à le faire. Il régnait une sorte de tension entre eux, mais ce n'était pas la tension explosive qui menaçait de tout faire sauter. Il s'agissait plus d'un léger crépitement à la fois complice et antagoniste.

Poursuivant sur un ton léger, Jack feinta un air navré tandis qu'il se lançait dans un faux plaidoyer sur la nature humaine des hommes en particulier :

" Les femmes ont plus de retenue que les hommes, c'est un fait. Mais la nature a aussi fait qu'il leur est plus facile de dissimuler leur... émoi Rolling Eyes

Après, il y a l'art et la manière d'aborder les choses, mais c'est un autre sujet... "

Il se garda cependant de lui faire remarquer qu'il ne lui avait pas encore fait d'avances. Une part de lui-même était excitée par l'Inconnu avec un grand I et la jeune femme représentait parfaitement ce "concept" puisqu'il ignorait jusqu'à son nom. Mais il était aussi très curieux d'en apprendre plus à son sujet, cela lui donnerait une idée... de l'angle d'approche à adopter .

Tandis qu'ils avançaient, il la fut bifurquer dans une petite ruelle étroite mais assez animée. On accédait ici aux bas quartiers les moins viles de la ville mais aussi les plus misérables ; il s'agissait de quartiers résidentiels où se terraient ceux qui n'avaient pas les moyens de se payer un logement dans la ville haute. Des gamins habillés à la va-vite jouaient ensemble dans la rue qu'ils venaient d'emprunter, ils riaient aux éclats en se passant une balle d'aspect miteux.

Jack fut soudain assailli par la vision que lui imposait Tahoser... et en bon macho, il en fut horrifié. C'est néanmoins d'une voix amusée mais sérieuse qu'il répondit :

" Ne parlez pas de malheur... Rolling Eyes

Je ne saurai plus où donner de la tête ni même où me mettre Razz

De toute façon, les plus timides sur un navire sont tellement victimes de "gentilles moqueries" sur ce genre de sujet que s'il y en avait, ils n'oseraient sans doute pas le dire... "

Prenant un air faussement contrarié, il fit mine de lui reprocher :

" Mais vous me posez là une question qui ne m'a jamais effleuré l'esprit et qui me dérange à présent... Cependant, en toute honnêteté, si je devais renvoyer un de mes hommes pour ce genre de motifs, ce serait surtout par manque de professionnalisme. Sur un navire, on se doit de tenir son poste, qu'importe qui vous fait de l'oeil... L'absence des femmes est une mesure de précaution mais on ne peut pas avoir des yeux partout, il faut bien l'avouer Rolling Eyes

"

Comble de l'ironie, Jack ignorait que dans son équipage même, une de ces "viles tentatrices" de femme s'y balladait en se faisant passer des plus habilement pour un homme. Le jour où il saurait... il en tomberait des nues .

Mmmmh, cet homme était un vieux loup de mer, macho sur les bords, et son esprit présentait certaines étroitesses selon les sujets. Mais Tahoser ne lui en tint pas rigueur, elle-même n'était pas toujours très ouverte d'esprit. Seulement, si elle paraissait pleine de tolérance, c'est parce qu'elle n'était pas chez elle. A Rome, fais comme les Romains... Elle était sur le territoire du capitaine Ravenheart et elle devait observer ses règles du jeu.

Elle ne répondit pas sur ce sujet épineux des émois masculins, elle n'avait pas envie de faire dériver la conversation vers ce genre de chose... Il pourrait se méprendre sur ses intentions, ou plutôt en profiter. Car elle savait qu'il était aussi coureur de jupons que misogynes. Tahoser se voyait comme un gouverneur avant d'être une femme, si elle séduisait des hommes, ce n'était pas voulu, mais elle se doutait bien que c'était d'abord son rang qui devait la rendre si attrayante. Si certains la trouvaient jolie, ce n'était que la cerise sur le gâteau en somme. A force de se faire traiter comme une déesse par ses suivantes, elle avait fini par abandonner tout élan narcissique, un peu comme une réaction de rejet.

"De gentilles moqueries... Capitaine, autant vous avez de nombreux soupirants et vous l'ignorez parce qu'ils sont rongés par la honte et la timidité..."

dit-elle, levant un sourcil d'un air assez espiègle. Mais elle changea vite de sujet. Inutile de tergiverser sur la place des femmes sur un navire, elle ne le convaincrait pas, et surtout ça ne l'intéressait pas vraiment, un autre point titillait sa curiosité.

Un point que les Magistrats de la ville voulaient mettre à mal, même la chef de la Milice avait refusé de répondre à ses questions...

"Mais vous n'avez pas qu'une mauvaise réputation, capitaine Ranverheart..."

reprit-elle d'une voix suave, et elle eut un sourire en coin montrant son intérêt pour l'affaire :

"Vous avez eu le cran d'imposer un pacte de non-agression alors que vous étiez encore dans un âge tendre..."

Il ne lui avait pas renvoyé la balle dans la conversation, alors elle était bien décidée à profiter de son avance pour le faire parler un maximum. De temps à autre, elle jetait un oeil discret lorsque dans leur champ de vision passait le cadran de l'horloge de quelques bâtiments élevés. Elle surveillait l'heure, elle savait qu'elle n'avait pas tout le temps qu'elle aurait voulu....

Pour le moment cependant, c'était surtout sur son interlocuteur qu'elle jetait ses regards, essayant de l'imaginer plus jeune. Il y avait eu un soupçon d'admiration dans le ton qu'elle avait employé, mais là encore elle se tempéra, toujours pour ne pas lui donner de mauvaises idées. Elle n'avait pas envie de passer pour l'une de ces tentatrices, elle agissait en tout bien tout honneur.

"D'où vous est venue l'envie ?"

s'enquit-elle doucement. Elle savait cependant mêler de doux échos à sa voix pour poser ses questions, elle préférait chasser le naturel autoritaire qu'elle avait acquis à cause de sa fonction de dirigeante.

Elle s'arrêta net pour éviter une balle miteuse lancée par un marmot. L'enfant arriva en courant pour récupérer son jouet, et sans même s'excuser il repartit. Tahoser l'observa deux secondes : quelle misère dans cette ville censée représenter le summum de la beauté et de l'art ! Elle reprit sa marche, son attention se reportant sur Jack. Ces quartiers pauvres lui laissaient un goût amer dans la bouche : elle ne comprenait pas comment les dirigeants de la cité pouvaient laisser leurs citoyens ainsi.... C'est sûr, l'ordre qui régnait à Thémis était plus autoritaire, plus cruel, mais personne n'en était réduit à errer dans la crasse...

" Qu'ils restent dans la honte et la timidité dans ce cas Rolling Eyes

" répondit il d'une voix seulement à demie sardonique.

Et Jack sentit que l'inquisition tournait de nouveau un peu trop autour de lui. Si ça continuait ainsi, il lui aurait raconté toute sa vie avant d'avoir seulement su comment elle s'appellait . Pas très habile comme manière de procéder... Il allait devoir changer bien vite tout cela. Son interlocutrice amenait la conversation sur un autre sujet qui pouvait être à double tranchant...

En réalité, il n'aimait plus trop parler des raisons de ce traité, en particulier depuis qu'il s'était rendu compte qu'il ne menerait sans doute jamais à rien qu'à une haine encore plus féroce entre pirates et citoyens. Sans compter qu'il faisait référence à sa jeunesse, quand il n'avait pas encore vécu de désillusion en désillusion. C'est avec un air bien plus sombre qui s'accordait bien avec les murs crasseux de la ruelle qu'ils traversaient, qu'il répondit alors :

" Ca m'a fait gagner une mauvaise réputation auprès des magistrats et de la pure citoyenneté d'Aïsthèsis en tout cas. Mis à part les quelques pirates qui y ont cru, je ne sais pas qui pourrait reconnaître ce fait comme une bonne action... "

Il haussa les épaules en feintant l'indifférence mais on sentait le mépris et le léger agacement que ce sujet suscitait en lui. Pourtant, récemment, il y avait bien une personne qui lui avait affirmé qu'il existait encore des gens pour y croire : Syd, son fils. Mais il était sans doute aussi naïf et aveugle qu'il l'avait été à l'époque où le traité avait été passé. Jack ne voyait pas qui pouvait être encore assez fou pour penser que ce pacte avait encore un avenir.

Il n'avait toujours pas répondu réellement à sa question mais il n'en avait aucune envie. Cela lui paraissait de plus en plus ridicule d'avouer qu'à une époque, il avait été quelqu'un d'idéaliste et que, tout en choisissant le camp des renégats - le camp des hors la loi, des parias de la société - il avait essayé de rendre les choses un peu moins difficiles entre les deux partis. Certes, le siège de la ville n'avait pas été non plus une manière d'aborder les choses de façon très douce et diplomate mais il savait déjà à l'époque qu'il faudrait au moins cela pour se faire entendre.

Jack sembla se renfermer légèrement, son regard s'était fait plus sombre. Il avança un moment en silence, remuant des eaux troubles et noires sans dire un mot. L'atmosphère sembla se refroidir l'espace d'un instant puis le pirate s'arrêta devant une porte de bois coincée dans un renfoncement de pierre. Il frappa trois coups après avoir sondé les environs puis posant les yeux sur Tahoser, il déclara :

" Je vous offre un verre... "

Un homme à la figure de chien enragé ouvrit une petite trappe coulissante pour voir qui avait frappé. Jack lui glissa quelques mots à voix basse et l'homme ouvrit la porte pour les laisser passer. Il eut un regard suspicieux vers Tahoser mais ne fit aucune remarque.

" Si ça vous intéresse vraiment de savoir le pourquoi du comment, vous n'aurez qu'à ouvrir les yeux... "

Il la mena le long d'un couloir sombre et froid d'où l'on entendait déjà des rires et des bribes de musique qui s'élevaient dans les airs. Nul doute que le pirate le menait vers l'un des repaires préférés de tous les renégats de la ville. L'un des derniers puisque la Milice semblait prendre un malin plaisir à tous les débusquer.

Tahoser n'avait pas eu la réponse qu'elle attendait, mais en même temps elle se doutait qu'elle avait peu de chance que le capitaine s'ouvre complètement à une étrangère. Visiblement, ce sujet devait être... sans doute douloureux pour lui. De sa réaction elle put déduire qu'il ne plaçait plus tellement d'espoirs dans ce pacte. L'atmosphère s'était assombrie, qu'et-ce qui avait bien pu se passer pour que le pirate n'ait plus la force de tenir... ses anciens idéaux ? C'est vrai que les Magistrats d'Aïsthèsis étaient on ne peut plus froids envers la gente pirate...
Tahoser aurait bien pu évoquer cette île, Thémis, où les pirates sont les bienvenus, et où les préjugés n'ont pas de cours. Mais ce serait se trahir : même si elle ne faisait que citer Thémis, il comprendrait qu'elle avait un lien avec cette île.

"Les Magistrats ne peuvent pas supporter les électrons libres, ils montrent les limites de leur pouvoir.... Et ils n'ont pas conscience de ce qu'ils pourraient gagner en acceptant la différence comme une force. Le régime des pirates est démocratique, ils pourraient en prendre de la graine..."

répondit-elle, mais elle s'arrêta là. Elle aurait été trop tentée de faire une comparaison avec son île. Sur Thémis, le Gouverneur était tiré au sort, mais par la suite, tous les ans, les citoyens votaient pour savoir si le dirigeant devait rester en place ou pas. Si le Gouverneur ne remplissait pas bien son rôle, il était exécuté, et un autre était élu par les dieux.

Elle accepta son invitation, et bientôt ils entrèrent, après avoir traversé un couloir de pierre, dans une taverne à l'ambiance échaudée : une foule de gens, aux airs patibulaires, renégats, buvaient et conversaient avec un entrain joyeux. Dans un coin un pianiste jouait, rythmant les échos des buveurs avec des notes entrainantes.
Une jeune femme aurait pu craindre de pénétrer dans un tel monde : le long couloir de pierre qu'ils avaient emprunté les coupait du monde extérieur, et étouffait les sons. Mais Tahoser était en confiance : elle savait se battre et surtout elle n'avait pas l'impression que le capitaine du Raven lui ferait du mal.

La pièce était peinte dans des couleurs ocres, rendant l'atmosphère vivante et chaleureuse, parce que les malfrats savent vivre !

Un homme un peu ivre faillit bousculer Tahoser, mais elle l'évita sans peine. Elle ne vit pas alors la grosse aubergiste qui débarquaient avec son plateau de verres salles, et elle prit un gros coup de popotin : la jeune femme se retrouva catapultée sur Jack et elle s'écrasa contre lui, se retenant à ses épaules pour ne pas tomber.

"Oups, désolé ma jolie !"

répliqua la Grosse Dame (et non, ce n'est pas celle d'Harry Potter XD) en gloussant.

"Pas de mal..."

répondit Tahoser en se décollant de Jack. Elle avait chaud tout à coup. Sans doute la chaleur ambiante du pub qui la saisissait. Elle évita de croiser son regard et en profita pour observer l'assistance, ressentant déjà une forme de fascination pour cet environnement si différent du sien. Cela n'avait rien à voir avec son palais, ses temples et ses suivantes...

"Ho, Jacky !"

héla un home assis à une table ronde avec quelques autres :

"C'est ta nouvelle conquête ? Rammene-toi avec ta gourgandine, y a de la place !"

Tahoser joua la carte du silence, et elle croisa les bras. On sentait cependant dans ses yeux comme une petite lueur assassine qui risquait de faire un carnage si ces messieurs ne calmaient pas leurs ardeurs...

Jack eut un sourire malicieux quand Tahoser se réceptionna sur lui. Mais il n'eut cependant pas l'audace de faire une remarque grivoise, il semblerait que la jeune femme ne soit pas du genre à adorer qu'on fasse des insinuations à son sujet. Et quoi qu'il en soit, son sourire parlait pour lui. L'étincelle dans ses yeux était on ne peut plus éloquente.

Il passa doucement un bras derrière son dos, posant délicatement sa main sur ses hanches. Il parut cependant être prêt à anticiper une réaction violente de sa part et avant de s'avancer dans la direction de l'homme qui l'avait interpellé, il se pencha légèrement à son oreille pour murmurer quelques mots :

" Ne le prenez pas comme une offence ou vous risquez d'attirer l'attention sur vous plus que vous ne le voudriez... "

Il tournait à demi le dos au groupe d'hommes qui les attendait. Certains d'entre eux avaient des prostituées assises sur leurs genoux. Jack savait qu'il prenait un risque en agissant de manière aussi familière avec la jeune femme, il exerca d'ailleurs une légère pression sur sa hanche pour la rapprocher un peu plus de lui. Ce n'était cependant pas une tentative de séduction un peu directe, la voix qu'il utilisait pour lui parler relevait plus de celui qui donne ses directives. Il était en territoire connu, après tout, à l'inverse de sa jeune invitée.

" Jouez le jeu et vous passerez inaperçue au milieu de cette bande d'ivrognes... " glissa t il en dernier conseil.

Puis il relacha la pression et s'avança vers la table où les autres les attendaient avec impatience. Il laissa une certaine distance entre Tahoser et lui - en particulier ses mains balladeuses - pour ne pas prendre le risque de la voir s'énerver et essayer de lui briser un os, comme avec ce pauvre Kurt. Il ne se montrait entreprenant que pour la guider, devinant qu'elle n'avait sans doute jamais mis les pieds dans un bouge pareil.

Il prit place à la table et fit signe à la jeune femme de faire de même. La compagnie d'hommes dévorait Tahoser des yeux, on aurait dit une bande de vautours convoitant le même morceau de viande.

" Alors, tu nous la présentes pas ? " se plaignit l'un d'eux en riant.

Jack se pencha de nouveau vers la jeune femme et avec un air mêlant sérieux et malice, il lui demanda :

" C'est quoi votre nom déjà ? "

Les renégats éclatèrent de rire, ne se doutant pas que le pirate ignorait réellement le nom de sa compagne. Une petite lueur amusée voguait dans le regard gris du capitaine, sa question poursuivait aussi leur inlassable jeu du "J'te connais mais pas toi !".

Tahoser fronça légèrement les sourcils, paraissant plus grave. Mais elle sut prendre le recul nécessaire pour ne pas repousser le capitaine. Il avait deviné qu'elle cherchait à se faire discrète, et il avait raison. Mais elle avait vaguement saisi le sens de son sourire, retenant un soupir d'exaspération : était-il donc si coureur ?!

Enfin, ce n'était pas si méchant.... Elle espérait qu'en ne renchérissant pas, il n'en ferait pas plus. Il semblait garder une certaine distance, on eût dit qu'il était quelque peu tenu en respect, il se doutait que la jeune femme n'hésiterait pas à le mettre à terre pour lui donner une bonne leçon. Mais après ? Elle faillit sourire à cette pensée : si elle le défiait en duel, qui gagnerait ? Mais elle chassa bien vite cette idée de son esprit, car son sourire pourrait porter à confusion.

Elle était demeurée calme, sans heurt. Puis elle s'installa à la table de la bande de joyeux drilles, mais elle se garda bien de s'assoir sur les genoux de Jack. Elle s'était constitué un air à la fois digne et serein, un brin de curiosité animait ses pupilles.
Forcément, la question de l'identité vint sur le tapis, mais elle avait déjà une réponse toute faite :

"Je suis Anaxias..." (*)

répondit-elle doucement, mais sa voix avait une certaine fermeté. Elle ne mentait pas : anaxias signifait gouverneur au féminin dans un dialecte très ancien de son île, mais nul ne pouvait le connaître à cette table, il était seulement employé dans des messes religieuses très fermées sur Thémis. Seuls les Augures et le Gouverneur employaient ce langage...

Aussi Tahoser avait répondu avec le plus grand naturel, car elle considérait bien que c'était là son identité. Le capitaine tomberait-il dans le panneau ? Comme pour lui signifiait qu'il ne l'aurait pas comme ça, elle lui adressa un petit sourire narquois.

"C'est rudement joli, ça vient d'où ?"

demanda l'un des hommes.

"De mes parents..." répondit Tahoser d'une voix suave. "Ils avaient un goût certain pour les sonorités...."

Elle évita de se renfrogner devant leurs regards trops insistants.

"Et d'où que vous v'nez comme ça, milady ?"

"Demandez au capitaine Ravenheart... Il m'a préservée d'une rencontre aussi pénible qu'ennuyeuse, et a eu la charité de me faire la conversation. Mais il n'a pas encore été assez prolifique à mon goût.... Vous qui le connaissez, pouvez-vous lui demander de délier sa langue ?"

Elle avait dans sa physionomie et dans sa voix l'art et la manière de tenir des propos agréables, plaisants à entendre pour ses interlocuteurs. Se sentant mis en valeur, l'homme se mit rire avant d'enchaîner :

"Allez, Jack ! Dis-lui ce qu'elle a envie d'entendre, cette pauvrette !"

"Dépêche-toi, sinon je prends ta place ! Razz

"

renchérit un autre homme.

Et un sourire malicieux aux lèvres, Tahoser murmura :

"Vous devez bien avoir beaucoup de choses à raconter, capitaine..."

(*) Anax en grec : le seigneur.

Jack ne pouvait pas manquer de remarquer que Tahoser jouait aussi à la perfection avec la malice et la taquinerie. Ajouté au fait qu'elle conservait à merveille le mystère qui planait autour d'elle, cela avait le don d'exciter la curiosité du pirate au plus haut point. Il avait l'habitude d'engager des jeux plus sensuels et des chasses un peu plus érotiques. Mais cette fois-ci, il y avait quelque chose d'autre qu'une recherche charnelle. Il aimait cette situation ambigüe et floue, il aimait sentir qu'il ne maîtrisait pas tout, cela réveillait ses instincts de prédateur. Il avait un vif instinct de survie qui se mettait en route dans de telles occasions, il aimait sentir le "danger" à l'approche...

Tandis que la jeune fille faisait connaissance avec le reste de la tablée, Jack fit signe à une serveuse de leur apporter de quoi se désaltérer. Il laissa cependant ses oreilles trainer et écouta très attentivement ce qui se disait. Faisant mine d'arborer une mine décontractée, il répondit alors aux demandes impatientes :

" Il n'appartenait qu'à vous de me délier la langue, mais j'ai cru comprendre que vous n'y étiez pas tout à fait disposé... "

Le sous-entendu était bien clair, le sourire qui apparut au coin de ses lèvres en réponse à la malice de la jeune femme ne laissait aucun doute sur ses arrière pensées. Il s'exprimait cependant d'une voix railleuse mais qu'il adoucissait très légèrement pour ne pas laisser apparaître ses tonalités obsènes.

Se laissant aller contre le dossier de sa chaise, il fit un petit tour de table du regard. Puis, comme un conteur qui s'apprête à prendre la parole sous un auditoire des plus attentifs, il se racla la gorge, laissa filer quelques secondes de silence - un silence tout à fait relatif puisque la fête battait son plein derrière eux - et il finit par déclarer :

" En réalité, cette jeune femme était assez intéressée par ce qui se trouve dans les bas fonds de cette belle cité. En tout cas assez pour s'y aventurer seule, sans escorte. Comme je suis quelqu'un de bienveillant et d'incroyablement généreux - Rolling Eyes

- je suis venu au devant d'elle pour lui porter secours... "

Il y eut quelques rires légers parmi les hommes ; pas besoin pour Jack de teinter sa voix d'ironie pour que ses paroles le soient. Les gens présents dans cette taverne camouflée connaissaient tous le pirate et sa réputation sulfureuse et purement renégate.

" Je me suis donc dit qu'il n'y avait pas de lieu meilleur qu'ici pour répondre à ses questions... J'espère que votre curiosité aura trouvé satisfaction... Milady... "

La serveuse leur apporta leurs verres ; rhum pour lui - on ne change pas les bonnes habitudes - et une boisson légèrement alcoolisée mais point trop pour la demoiselle. Il en but une rasade puis jeta un coup d'oeil en coin vers Tahoser comme pour examiner sa réaction. Elle s'était montrée intéressée par les raisons de ce pacte de non-agression. Il avait voulu lui montrer en images. Le résultat serait des plus éloquents.

Bien entendu, le pub ne regroupait pas que des pirates, il y avait des renégats en tout genre. Mais on pouvait déjà se rendre compte de la bonne humeur ambiante qui régnait dans les lieux... une humeur et une façon de vivre qui ne pouvaient être de mise que parce qu'ils étaient cachés aux yeux du reste de la citoyenneté. Malgré les rires et la musique, chacun portait le poids de sa condition. Très peu d'entre eux avait choisi de devenir renégat par simple envie, tous y avaient été poussés d'une manière ou d'une autre.

Poussé par cette société qui n'avait jamais rien fait pour les incorporer ou leur tendre la main. Ils avaient été tout simplement... rejetés...

C'était cela que Jack voulait montrer à la jeune femme...

Est-ce parce qu'il était entouré de ses frères de vice qu'il se permettait ce genre de remarque ? Tahoser fut somme toute amusée... Elle n'avait pas l'habitude qu'on lui parle ainsi : sur son île, nul n'osait portait les yeux sur le Gouverneur Tahoser avec de telles arrières pensées. Ce pirate était un fieffé coquin, et même s'il n'était pas dénué de charmes, la jeune femme n'avait pas vraiment envie de se retrouver sur la liste de ses gourgandines...

"Votre intuition était la bonne."

répliqua-t-elle sans prendre ombrage, mettant une touche joyeuse dans sa voix. C'était sa façon de le railler à présent. Il se moquait -gentimment- d'elle, elle faisait de même. Elle saisit son verrre et le but. En biais, elle considéra le rhum que buvait Jack, peut-être avec envie... Sa stature de frêle de demoiselle l'avait consignée à une boisson pour bébé... Elle préférait d'habitude les alcools forts et se targuait de bien tenir l'alcool, mais ce n'était pas le moment de se lancer dans ce genre d'initiative.
De là à ce que ça tourne au duel de boisson....

Personne n'avait cru le capitaine, bien sur, lorsqu'il avait parlé de son acte bénéfique.... Mais Tahoser songea qu'elle devait quand même passer pour une demoiselle en détresse aux yeux de ces gens. Elle lisait dans leurs yeux un mélange de curiosité et de voracité. Comme Jack, ils voyaient qu'elle tranchait avec leur milieu, mais le pirate avait bien intégré la demoiselle.

Tahoser se concentra un peu plus sur l'atmosphère autour d'eux. Il y avait une âpre chaleur qui lui frappait le coeur : quelque chose de fort se dégageait de ces gens, leurs humeurs mêlaient autant de joie que d'amertume. Son visage s'assombrit. Ses pensées allèrent à Thémis, et elle se demanda combien des siens, rejettés par leur système, avaient fini par se retrouver en pareils lieux, quand ils ne mouraient pas noyés.
L'ambiguité de la situation la frappa : elle acceptait les parias des autres cités mais rejetait les siens. Elle ? Non, Thémis, mais Tahoser n'était que l'instrument d'une loi plus dure et plus forte qu'elle-même. Elle n'y pouvait rien changer.

"ça doit te changer, chérie..."

C'était une prostituée qui avait parlé. Tahoser sortit de sa rêverie et la regarda. Elle ne dit rien mais ses yeux se firent soudain sévères. Comment ça ? Est-ce que cette courtisane l'aurait vue en tant que Gouverneur ?

Voyant que la jeune femme se renfrognait, la prostituée se délogea de son siège/amant et elle s'approcha de Tahoser :

"Montre-moi ta main..."

Méfiante, mais plus curieuse encore, Tahoser lui tendit sa main blanche et impeccable. La catin l'inspectant, regardant d'abord le dos de la main et les ongles :

"Bah tiens !"

s'exclama-t-elle.

"Regardez moi ces ongles ! C'est des ongles limés une heure par jour ça ! Mais quelles mains magnifiques ! C'est des mains de bourgeoises, ça, je ne me trompais pas !"

Tahoser, quoiqu'agacée par ce subit intérêt pour ses mains, fut soulagée que ce ne soit que son physique et son hygiène qui soient à l'origine des déductions de la prostituée. Mais la femme retourna soudain la main du Gouverneur, et on put voir que la paume de la jeune fille présentait des marques infimes sur ses muscles à l'aspect dur et noueux. Les marques de quelqu'un qui se bat très souvent à l'épée.

Cette fois, même si Jack avait eu un aperçu de son côté guerrier et qu'elle avait dit elle-même défier en duel des pirates, Tahoser réagit brusquement et arracha sa main à la prise de la catin. Elle la toisa méchamment, et la prostituée recula : le regard sévère de Tahoser lui avait juste paru boudeur, mais cette lueur belliqueuse à présent lui avait fait froid dans le dos.
Tahoser, se radoucissant, et toujours silencieuse, rebut une gorgée de son verre.

Jack fit mine d'arborer un air nonchalant tandis que Tahoser devenait le centre de la conversation. Il n'avait même pas besoin de forcer pour que ses compagnons de tablée lui donnent un petit coup de main à essayer d'ouvrir cette huître si hermétiquement fermée sur ses secrets. Il devait bien avouer qu'il n'avait pas pris garde à la manucure de la jeune femme ; en même temps, ce n'est pas le genre de choses sur lesquelles les hommes avaient habitude de s'attarder. Mais il avait très bien vu du premier coup d'oeil qu'elle était bien plus soignée que la plupart des filles qui arpentaient les bas quartiers d'Aïsthèsis. La remarque de la prostituée ne faisait que confirmer ses soupçons.

" Sois gentille avec mon invitée, Scarlett, ce n'est pas très avenant de ta part de la traiter de bourgeoise devant tout le monde... " la tança t il gentimment.

Mais la prostituée semblait plutôt inquiète du regard meurtrier que la nouvelle venue lui avait jeté. Elle battit en retraite et retourna prendre position sur les genoux de son amant du soir. Ses yeux ne pouvaient cependant pas se détacher du Gouverneur avec un mélange d'envie, de crainte et de rancune.

" Pardonnez mes amis... " reprit Jack en tournant les yeux vers Tahoser.

" On ne reçoit pas souvent des invités hors paires ici, leurs manières peuvent laisser à désirer... "

Son sourire était moqueur mais doux, la pique s'adressait surtout aux personnes attablés avec eux. Les concernés se mirent alors à rire, comme si la remarque du pirate les avait flattés tout en les amusant.

" C'est que, si on avait su que Jack mettrait un tel poisson dans ses filets, on aurait au moins fait un peu de ménage... " s'excusa à demi un des hommes, le plus âgé de la tablée à en juger par sa chevelure de sel et les nombreuses dents qu'il lui manquait ; au milieu de ses rides, on pouvait encore discerner d'horribles ballafres mal cicatrisées.

" C'est vrai que tu ne te refuses rien, Jacky... " fit remarquer une autre prostituée en prenant des airs de minette en chaleur.

" A croire que nous autre, filles des rues, on ne te suffit plus... "

Jack eut un léger sourire, comme flatté par ses remarques, et il n'essaya pas de les dissuader sur ses intentions. Il resta silencieux tandis que les autres continuaient de jaser tout bas sur la nouvelle perdrix qu'il avait ramené. Le pirate prit le temps de boire une gorgée de rhum avant de reprendre la parole pour mettre fin à ces cancans :

" Vous pourriez au moins attendre que nous soyons partis... Rolling Eyes

"

" Puisque tu ne veux rien nous dire, il faut bien qu'on échaffaude nos propres théories... "

" Vous voyez, milady, même avec nous il n'est pas très prolixe... "

Les notes d'une musique entraînante se firent alors entendre. Les prostituées se levèrent alors d'un bond et entraînèrent leurs cavaliers sur la piste de danse avec des rires et des regards langoureux. Bientôt, Tahoser et Jack se retrouvèrent seuls à la table. Le pirate suivit leurs compagnons de discussion des yeux puis, après avoir vidé son verre, il focalisa de nouveau son attention sur la jeune femme :

" J'espère qu'ils ne vous ont pas mis mal à l'aise... "

Si ses suivantes ou même ses ministres la voyaient en un tel lieu, et victime de telles messes basses, ils en mouraient sur place ! Tahoser errait dans une sensation mitigée... Mais qu'avait-elle fait pour qu'on la prenne pour une pouliche du capitaine ? On ne pouvait être ni jeune, ni belle, ni vertueuse dans ce genre de bourbier ? Jack lui demandait, toujours sarcastique, de pardonner ses compagnons...
Elle sentait que la colère ne lui serait d'aucun secours, mais de toute façon elle n'avait pas envie de se fâcher. Elle avait bien intégré dans son esprit qu'elle avait pénétré dans un nouvel univers, avec ses propres règles, mais elle se demandait si le pirate n'en profitait pas un peu ? Jusqu'à présent, seul avec elle, il s'était abstenu de tout commentaire ou de toute tentative de séduction, mais, à présent qu'ils avaient glissé sur ce sujet et qu'il semblait y avoir pris un certain plaisir, n'allait-il pas essayer de la courtiser ?

"Oh, je suppose que je peux bien survivre à cela..."

dit-elle, légèrement agacée. Et elle utilisa ses mains de bourgeoise pour boire le contenu de son verre d'une traite. Elle s'était un peu renfrognée depuis les commentaires grivois de leurs anciens compagnons de table, et gardait une mine grave.

* Bourgeoise... Evil or Very Mad

*

"C'est ce genre d'intérêt qui me fait penser que je suis née avec le mauvais sexe... Que ne suis-je un moche chauve et bedonnant ?"

lâcha-t-elle en un petit soupir ironique. Elle posa ses yeux sur son interlocuteur. Elle était sur ses gardes, sans vraiment se méfier de lui. Il comprendrait bien que ce genre de rapport ne l'intéressait pas, non ?
Elle aurait presque voulu qu'il la drague directement pour qu'elle puisse l'envoyer sur les roses, mais il n'en faisait rien, il était trop malin. Il savait doser ses allusions en douceur.

Tahoser n'avait pas vraiment de mépris pour les prostituées -sinon elle n'aurait pas permis à l'une d'entre elles de la toucher.... mais elle portait quand même un jugement sévère sur ces femmes qui se vendaient comme de la marchandise. Elle avait des principes et une morale qui ne souffraient pas ce genre de vices.

Et le capitaine qui consommait allègrement ce genre de services... Enfin, à ce qu'il semblait.

"Enfin, ils sont conviviaux, cependant, on ne peut pas leur retirer ça..."

ajouta la jeune femme, et enfin un sourire revint sur ses lèvres.

Elle prit un air complètement détaché, et lança avec une apparente indifférence, comme si vraiment ça ne la touchait pas plus qu'un jeudi au milieu de la semaine :

"En tout cas, c'est gentil de ne pas avoir confirmer leur théorie scabreuse."

Pure ironie, il les avait confirmer en se taisant, ce qui était le comble de la malice. Elle ne pouvait pas l'accuser d'avoir joué un jeu sournois car il n'avait rien fait, alors elle le remerciait justement.... pour ce qu'il n'avait pas fait. Jack, maîtrisant le second degré, comprendrait le message...

Faisant tourner son verre vide entre ses mains, Jack eut un sourire en coin aux paroles de la jeune femme. Il avait très bien saisi le message, maniant lui aussi ce genre d'ironie assez souvent pour ne pas en reconnaître quand il croisait son chemin. Il lui jeta un regard en coin, restant à nouveau silencieux, comme s'il essayait de rendre son mutisme encore plus lourd de sens. Une lueur malicieuse faisait briller l'anthracite de ses yeux.

Puis il reporta son attention sur son verre, brisant le lien visuel avec elle ainsi que son silence :

" Un gentleman se doit de montrer ses bonnes manières en public... " répondit il avec ironie.

" Peu importe ce qu'il se passe chez lui après cela, ce qui compte c'est la vision que les autres ont de lui... à l'extérieur... "

Il se cala bien au fond de son siège, posant les pieds sur une chaise à présent vide. De cette manière, il pouvait observer la jeune femme tout à son aise. Il arborait un air nonchalant tandis qu'il la dévisageait de la tête aux pieds sans vergogne. Il gardait cependant une certaine retenue et si son sourire avait quelque chose de grivois, son regard ne l'était pas. Il mêlait seulement un mélange de curiosité et de convoitise.

Sa dernière réplique n'était pas non plus lancée au hasard, sans arrière pensée. A présent qu'il était devenu indubitable entre eux que la jeune femme faisait bien partie d'un autre milieu social, il y faisait subtilement référence tout en remarquant que malgré cela, elle restait bien prudente sur ses origines et son identité. Elle distillait les informations goûte à goûte, prenant grand soin de ne pas trop en dire et de ne pas trop se révéler. Malgré sa mise impeccable qui n'avait rien à voir avec celle des pauvres gens de ce quartier, elle jouait sur les apparences pour arriver à se dissimuler avec brio.

Mais avec subtilité, lui aussi, il lui faisait comprendre qu'il n'était pas dupe.

" J'espère néanmoins que cette petite visite répondra en partie aux questions que vous vous posiez sur mes raisons d'instaurer un pacte de non-agression. Tous ne sont pas des pirates ici, mais ils jouissent de... la même considération de la part des magistrats d'Aïsthèsis... "

Sa voix avait perdu de son ironie pour se teinter d'un peu plus de sérieux. Mais il conservait un petit sourire en coin tandis que son regard balayait la salle du pub clandestin. Les personnes qui s'y amusaient ne donnaient pas l'impression d'être des renégats, ils avaient juste l'air d'être de pauvres gueux. Pourtant, ils étaient voleurs, pirates, assassins... Chacun possédait son petit vice caché...

" Vous ne devez pas être vraiment habituée à côtoyer ce genre de personnes, je me trompe ? Sinon vous ne vous seriez pas hasardé toute seule dans les bas quartiers de la ville. N'importe quelle personne qui sait à quoi s'attendre ici ne prend pas le risque d'y descendre seule... "

Il la fixait sans ciller, comme s'il essayait de la percer à jour. Il avait de nouveau relancé le jeu et c'était au tour de la jeune femme de passer à la questionette...

Tahoser demeura silencieuse un moment, les yeux posés sur son étrange interlocuteur. Elle avait encore du mal à le cerner, il jouait beaucoup sur les apparences, lui aussi, et les rumeurs qu'elle avait entendu à son sujet ne faisait que le rendre plus insaisissable. Il s'intéressait à elle autant qu'elle s'intéressait à lui, et c'était dommage. Parce qu'elle devrait faire preuve de ruse pour s'en tirer sans lui en avoir trop dit mais en procédant ainsi elle perdait l'occasion d'en apprendre davantage sur ce pirate.

L'idée d'utiliser ses charmes -pas à fond cependant ! - lui traversa l'esprit. Mais elle avait la sensation que si elle commençait sur cette voie elle ne pourrait pas arrêter Jack sans lui arracher un bras. En outre, ce n'était pas vraiment le genre de la jeune femme. Elle ne se croyait pas douée de toute façon dans l'art de la séduction.
Il faut dire qu'elle n'y connaissait pas grand chose...

"Je savais que je ne risquais rien."

répliqua-t-elle, orgueilleuse. Et elle ajouta, l'air très sérieux, sa fierté faisant presque briller ses yeux :

"Et quand bien même j'aurais risqué quelque chose, cela ne m'aurait pas arrêté..."

Elle s'était drapée d'une superbe nouvelle. S'il y avait bien une chose en laquelle elle avait foi, c'était sa capacité de combat... En plus, c'était sans compter ce don étrange qui lui permettait de... porter malheur, ou bonheur, à son gré.

Elle avait posé une main sur sa table, et faisant cogner ses ongles sur la surface l'un après l'autre, rapidement, faisant comme une petite mélodie de bruits discrets.

"Mais c'est bien vrai, je n'ai pas l'habitude de fréquenter ce genre d'endroit... Cependant n'allez pas croire que je vis au milieu de poupées de porcelaine.... Il n'est pas besoin d'être Renégat pour être cruel..."

Elle avait eu une pensée "émue" pour ses donzelles de suivantes qui pourtant paraissaient bien des poupées.... Mais Tahoser avait surtout songé à son peuple entier, à ses dures lois, à ses châtiments. Ils pratiquaient la torture, la peine de mort. Personne ne pouvait échapper à la Loi, pas même le Gouverneur. Nul ne pouvait changer la Loi. Aussi cruelle fût-elle.
Et Tahoser pourrait ajouter : même si elle est injuste.

En tout cas, Tahoser signifiait à Jack qu'elle ne venait pas d'un milieu... supérieur au sien. Il y avait de l'ombre partout et les gens de Thémis n'étaient pas au fond si différents de ces marauds... Tahoser, d'ailleurs, ne se considérait pas meilleure que ces gens. Ils n'avaient pas les mêmes valeurs, c'était vrai, mais qui était-elle pour dire que les siennes avaient plus d'importance ? Son statut, son rang, sa richesse, elle ne devait tout cela qu'au hasard.

"Mais c'est bien agaçant pour moi d'être trahie aussi vite... A part mes ongles, qu'est-ce qui a pêché ?"

s'enquit-elle. En fait elle savait déjà quels côtés de sa personnalité l'avaient dévoilée, mais qu'est-ce que Jack avait perçu en fin de compte ?

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