Chroniques d'Aïsthèsis « L'existence n'est pas ce qui s'est passé, l'existence est le champ des possibilités humaines, tout ce que l'homme peut devenir, tout ce dont il est capable. » Milan Kundera |
| | La chute est une chose formidable [Yue] | |
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Liam Anaikh' Poète aristocrate
Nombre de messages : 15 Date d'inscription : 23/08/2009
| Sujet: La chute est une chose formidable [Yue] Mar 1 Sep - 11:57 | |
| Rien n’est plus grandiose que la mer. C’est à la fois l’infini et l’intime qui s’y mêle, la terre et le flot ondoyant qui se fond en un seul élément aux formes fantastiques ou étales. La mer est de ces choses qui sont au-delà de toute compréhension, rien ne l’arrête, rien ne l’ennuie ; patiente, elle assiège éternellement les terres en s’insurgeant parfois de la bêtise humaine lors de ses tempêtes immenses. Les vagues roulent, l’écume couronnes les crêtes des montagnes d’eau, l’eau va et vient sur les berges en un flux et reflux continuel de mort et de destruction. Et l’homme ne peut rien contre l’élément déchaîné et sa fureur. Brisé, battu comme un fétu de paille, il n’a d’autre choix que de se laisser aller, et de survivre, si le sort lui est favorable. Mais plus que toute autre chose, la mer est belle. Il se dégage d’elle ce parfum iodé et sublime qui abreuve et inspire les âmes ; elle a un chant propre à elle, une vie en son sein, des secrets, des trésors, une existence propre et incompréhensible. Et sa surface impénétrable se fait mystique ou tendre sous l’éclat du soleil ou le roulement des nuages. Oui, la mer était belle. Et Liam aimait à la regarder. Le jour s’était levé depuis longtemps déjà, les rues s’étaient peu à peu emplies d’une foule voyageuse et versatile ; Le soleil brillait languissamment dans un halo doré de lumière blanche ; les toits rutilaient, les voix criaillaient, et le vent se taisait. Liam, lui, marchait à l’abandon dans ses rues qu’il avait foulé tant de fois. Il les avait parcouru en tout sens, les avait observé, et avait appris à les aimer, elles qui l’hébergeait. Il avait appris leurs secrets, leurs beautés secrètes dans tout les entortillements, étroits et misérables, souvent. Il y avait, en effet, dans toutes ces ruelles obscures, dans tout ces guet-apens, toutes ces impasses et tout ces culs de sac à n’en plus finir un charme inexplicable ; il y avait une vie, une existence, un grouillement de volonté de vivre et d’espoir mort-né. Et Liam s’en était ému à chaque fois qu’il foulait de son pas dansant les pavés glissants et souillé de la vieille ville menant au port. Une fois encore, le jeune homme empruntait ces rues populaires. De lourds effluves chatouillaient naïvement ses narines tandis que le flot ininterrompu d’humains braillards et prolétaires allaient et venaient en monstres hurlants. Que la foule était volage ! Elle allait en un sens, s’interrompait, reprenait son cours dans un autre sens, tourbillonnait, virevoltait sur elle-même et, versatile, changeait à nouveau de sens. Et Liam, avec elle, volait sur la terre comme on vole dans le ciel, accompagné par mille oiseaux travailleurs et criards. Avec eux, le jeune homme oubliait et fuyait. Ses pensées l’emmenaient dans de longues flâneries où il rêvait de choses merveilleuses. Rien n’était plus doux que cela. Il n’y avait plus de douleur, plus de souffrance, juste un flot de pensées mélancoliques et de songeries brumeuses aux formes si belles en apparence qui s’effritaient dés la levée du vent. Et la mer était un de ces lieux magiques où le rêve est roi. C’est là que Liam se dirigeait, lentement, à longues enjambées nonchalantes et pleine d’une grâce austère et sans vie. Il se fondait dans l’élément, l’apprivoisait et, sans chercher à aller plus vite qu’il ne le devait, il marchait, tranquille, l’âme endormi dans une poésie sans fin. Rapidement, cependant, ses pas le menèrent au port. Les odeurs y étaient plus fortes qu’à n’importe quel endroit. Un parfum lourd et poisseux de poissons, de moisis et d’humidité. Une puissante iode l’enivra un bref instant tandis qu’il débouchait sur les pontons encombrés d’objets marins et parfois fort étranges. Liam se prit à sourire. La vue sur la mer était on ne peut plus sublime. L’onde, ce jour-là, était calme et tranquille ; de petites vaguelettes surmontées d’une couronne d’écume allaient s’écraser sur les berges avec un doux bruit de roulement et de sable. Des mouettes criaient dans le ciel en tournoyant en cercle serré et partout on s’affairait, on rangeait, on triait, on s’apprêtait à partir, larguait les amarres, et toute cette occupation marine qui occupe tant d’hommes. Des reflets émeraudes chatoyaient sur la mer et la diapré de teintes vertes. Humant longuement l’air, le jeune homme ferma les yeux et rejeta la tête en arrière pour sentir le vent jouer avec sa chevelure. Qu’il était doux, ce zéphyr d’ouest ! Liam rouvrit les yeux et embrassa des yeux l’immense baie. De fiers navires y naviguaient avec une grâce aérienne qui l’avait toujours fascinait. Comment de tels bâtiments pouvaient-ils posséder tant de beauté, tant d’aisance sur l’eau ? Comment les hommes pouvaient avoir assez de savoir et de force pour en assurer le mouvement et la construction ? Les voiles, le bastingage, la poupe et l’ensemble de ces beaux navires nécessitaient un soin particulier et un savoir de construction immense. Liam avait toujours aimait les regarder évoluer sur l’onde et en avait toujours admiré la beauté. Des heures durant, il avait contemplé le port, et ne s’en lassait jamais. Bien des marins devaient le prendre pour un excentrique. Mais avait-il vraiment tort ? Le jeune homme, après avoir contemplé longuement les flots ondulant, reprit sa flânerie le long des pontons. Des dizaines de marins s’affairaient à diverses tâches. Tous avaient la peau hâlée, le teint luisant, et de grosses et puissantes voix. C’était des hommes habitués aux durs travaux du bord et qui connaissait la souffrance, la faim, le froid, la peur. Tous, ici, étaient respectables. Et Liam avait une haute estime de chacun d’entre eux pour le travail harassant qu’ils accomplissaient chaque jour pendant des longues heures. Eux aussi chantaient, aussi riaient, eux aussi avaient ce droit humain de vivre. Soupirant, Liam trébucha sur une caisse qu’il n’avait pas remarquée.
Mais que faisait-elle ici, sur son chemin ? Mais qu’était-ce que cette… chose-là … ici,sur son chemin A LUI ! Cela n’avait pas de sens ! C’était insensé ! C’était abominable ! C’était… C’était inique, pernicieux, volontaire, fomenté ; c’était un complot, une cabale, une intention malveillante de le faire chuter lourdement avec l’attitude lamentable de ceux qui ne savent pas tomber ! C’était on ne peut plus lamentable ! C’était vil, même ! C’était méprisable, con cul pissant, c’était … C’était… C’était… bref. Le jeune homme vacilla un instant, fit aller ses bras dans le vide pour garder l’équilibre, un pied dans le vide, tombant, inexorable, au ralenti, dans une position on ne peut plus comique. Il y’eut un instant de flottement, une seconde où Liam cru se rétablir et finalement, il s’écrasa avec une lenteur exaspérante et une grâce sublime dans la chute qui se termina superbement dans une magnifique flaque d’eau de mer salée et saumâtre qui gisait à ses pieds. Jurant, Liam se releva rapidement malgré ses vêtements trempés et s’aperçut que la caisse sur laquelle il avait fait le grand saut était complètement renversée. Il regarda négligemment autour de lui, affectant un air dégagé et se figea soudain en apercevant… Un homme ? Se diriger furieusement vers lui, avec un petit air de femme mussé dans ses trais. Les ennuis commençaient. Et Liam avait faim, après cet effort innommable. La journée s’annonçait splendide. Sa rencontre avec cet … être étrange mais pas dénuée de charme également. | |
| | | Yue Hwyddnès Pirate - Maître d'équipage du Raven
Nombre de messages : 388 Age : 31 Localisation : Quelque part sur le Raven, à faire mumuse avec le Vent... :D Date d'inscription : 08/07/2009
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| Sujet: Re: La chute est une chose formidable [Yue] Mar 1 Sep - 19:13 | |
| [Liam est un vieux perveeeers !! Nan mais, d'où est-ce qu'il fantasme déjà sur Yu' ?! xD] Yue était passablement hors d'elle. Le Raven appareillait dans quelques jours, et si l'équipage -elle la première- avait accueilli la nouvelle avec un enthousiasme sans nom, il fallait bien avouer que les tâches précédant le départ n'étaient rien d'autre qu'ingrates. Embarquer les différentes denrées à bord était en effet un travail laborieux, éreintant et répétitif... Aucun des pirates n'appréciait une telle ennuyeuse corvée. Néanmoins, chacun remplissait son office avec un certain mais surprenant professionnalisme. A vrai dire, tous se voyaient déjà au beau milieu de l'océan infini, sentant presque le souffle puissant du vent caressant leur peau hâlée. Le Raven était resté trop longtemps à quai, c'était une certitude. Une certitude qui parait l'avenir proche de couleurs peut-être encore plus chatoyantes qu'à l'accoutumée. Ils avaient trop entendu l'appel de la mer sans pouvoir y répondre, trop longtemps refusé de se jeter dans ses bras aimants, tellement trop que la soudaine perspective de s'y blottir dans une poignée de jours volages effaçait tout le reste...
Mais Yue était passablement hors d'elle, malgré le sentiment de joie impatiente qui lui enserrait l'âme. Quitter enfin une ville trop peu vide, retrouver l'étendue sans fin des grands espaces de l'océan, se sentir à nouveau comme seule dans un monde de mystères et d'harmonies abyssales, pouvoir ne plus contempler qu'un firmament épuré, tandis que le vent facétieux lui chuchoterait un autre de ses secrets d'éternités... Rien que ces idées suffisaient à la ravir. Presque. Parce que la corvée qu'elle était en train d'effectuer n'était pas vraiment un plaisir non plus... Mais la jeune femme l'aurait volontiers oublié... si Liam n'était pas soudainement entré dans l'équation. Quoique, ça n'en était même plus surprenant... depuis quelques temps, elle collectionnait en effet les ennuis et autres rencontres foireuses. Elle n'était plus à une près... Ou peut-être bien que si. La tâche que l'équipage tout entier effectuait était assez pénible sans qu'un passant aussi rêveur que peu doué ne s'en mêle ! Pourquoi fallait-il donc que cela tombe irrémédiablement sur elle ?! Décidément, elle ne le répèterait jamais assez. La fatalité était une bien belle saleté. Si, à ce moment-là, elle avait eu entre ses mains l'homme mal inspiré qui l'avait inventée... nul doute qu'elle l'aurait gracieusement étêté. Rien que pour passer ses nerfs. ...Quoique, à bien y réfléchir, une bêtise telle que la destinée ne pouvait décemment avoir été découverte par un seul homme. Toute l'humanité, de toute l'idiotie dont elle était capable, avait dû s'y mettre. Et les dieux seuls savaient quelle était la limite de la connerie humaine... Infinie, à coup sûr.
Absorbée donc par ces pensées furieusement désespérées, Yu' se dirigeait vers l'inconnu, l'air méchamment fâchée. Que pensait-il faire en se relevant ainsi, faisant comme si de rien n'était ?! Son méfait était pourtant évident. La caisse sur laquelle il avait trébuché -avec une classe lamentable, on pouvait le lui concéder- s'était renversée, répandant la poudre qu'elle contenait sur le sol humide des docks. Évidemment, il fallait s'y attendre, de tous les barils qu'il aurait pu massacrer, l'autre imbécile avait choisi l'un des seuls qu'il ne fallait absolument pas toucher. Celui rempli de poudre ! Et la poudre mouillée, bien sûr, ça n'est pas franchement utilisable... - Et dire que l'on pend des pirates tandis que des crétins pareils se baladent impunément... grommela la pirate, tout bas, dans la barbe qu'elle n'avait pas, et se plantant finalement devant le crétin en question, l'air pas tout à fait avenante.- Aurais-je l'incommensurable honneur de savoir ce que tu avais dans l'intention de faire ?!Et, si elle ne pouvait pas plus se départir de son éternel ton moqueur que de son effroyable tendance à l'abus de rhum, l'ironie de sa remarque sonnait durement, tout comme son tutoiement. Oh oui, elle était énervée. Toutefois...- Vol plané remarquablement pitoyable, t'accorderai-je tout de même... ... elle avait beau afficher un air furibond, son caractère la poussait un peu trop à relativiser pour qu'elle puisse prendre l'incident véritablement au sérieux. Un baril de poudre, c'était toujours remplaçable, n'est-ce pas ?!... Ce qui n'empêchait que l'inconnu ayant si magnifiquement chuté rembourserait la marchandise qu'il venait de gaspiller. En double, triple, voire peut-être même plus. Tout dépendrait de son degré de naïveté...
Détaillant donc finalement le malheureux afin de le jauger, elle s'arrêta un instant sur ses vêtements trempés et odorants, le temps d'esquisser un petit sourire railleur, avant de revenir sur son fin visage.
Et soudain, l'espace d'une fraction de seconde, la carapace d'indifférence derrière laquelle la véritable Yue se cachait se fissura, laissant s'échapper une lueur de peur pure qui illumina tel un éclair son regard avant de disparaître, comme si elle n'avait jamais existé. La flamme terrifiée n'était-elle qu'illusion, ou bien intrigante réalité ?... Seule Yu' aurait pu le dire. Et d'ailleurs... Dans l'esprit soudain tendu de la pirate, une tempête sans nom soufflait, balayant toutes pensées et certitudes sur son passage. Ce visage, ces traits... Ils avaient certes vieilli, gagné en beauté mâture ce qu'ils avaient perdu en douce innocence enfantine, mais ils restaient inoubliables. Cruellement inoubliables, viles réminiscences d'un lointain passé qu'elle souhaitait pourtant pouvoir oublier, rejeter loin d'elle à jamais... Et Liam Anaikh', puisque tel était son nom, elle en était aussi certaine qu'il était certain que le vent, un instant, lui avait caressé le visage, comme pour la rassurer et lui murmurer que, par dessus tout, seule sa dernière promesse comptait, faisait partie de ce passé. Jeune enfant de l'aristocratie, tout comme elle, ils s'étaient croisés à plusieurs reprises, lors de folles et strictes réceptions qui, soi-disant, seyaient à leur milieu. Yu' les haïssaient. Tout comme elle avait haï tout ce qui la rapprochait de son père, et de cette voie sur laquelle on la tirait et la poussait tout à la fois, volant sa si chère liberté. Mais la peur vicieuse qui semblait prendre un plaisir pervers à lui ronger les entrailles avait une origine bien plus réelle, bien plus présente. La jeune femme n'en était plus une. Elle était un pirate, fils de rien, sans nom, vivant au jour le jour, libre à jamais. On ne pouvait -ne devait!- pas la reconnaître. Certes, elle avait changé autant que Liam depuis qu'ils s'étaient entrevus pour la dernière fois mais... elle avait peur. Peur qu'on la découvre. Parce que son passé ne devait pas ressurgir. Parce qu'Aymë van Sèdhwynd était encore recherchée par la Milice. Mais Yue, elle, ne voulait rien qu'oublier, vivre en paix, sans plus rien se souvenir... Était-ce trop demander ?!...
Il fallait le croire, oui. | |
| | | Liam Anaikh' Poète aristocrate
Nombre de messages : 15 Date d'inscription : 23/08/2009
| Sujet: Re: La chute est une chose formidable [Yue] Mar 1 Sep - 22:31 | |
| N’avez-vous jamais remarqué combien la vie n’est qu’un tissu absurde de rencontres fortuites et hasardeuses qui s’entrechoquent et filent entre les êtres des liens indéfectibles ? Quoiqu’il en soit, pour une rencontre, c’était une rencontre ! Liam considéra l’individu qui s’approchait rapidement de lui avec un vilain air méchant sur le visage. Quelle rage ! Quelle colère ! Quelle furie ! Certes il y’avait de quoi, Liam s’en rendait bien compte, d’autant plus que le contenu da la caisse en question était précieux. Mais qu’y pouvait-il ? C’était la caisse qui l’avait fait trébucher, non le contraire ! Quand bien même était-elle remplie de poudre, il n’y pouvait rien changer. Comme de bien entendu, l’être qui l’accosta fut loin d’être aimable ; il n’y avait là que de la normalité, de l’effroyable conformisme. Mais Liam se savait dans son tort. Il se savait fautif, aux yeux de cette jeune personne dont les traits ne lui étaient pas si étrangers –qu’ils étaient harmonieux, d’ailleurs !-, et savait tout aussi bien qu’on ne lui donnerait pas raison. Etait-ce une raison pour hurler de la sorte ? Certainement pas ! On avait beau hurler, vagir, tempêter en tout sens, on ne parvenait jamais à rien de cette façon là. Liam était certains que celui ou celle qui lui faisait face en était également persuadé. Crier de la sorte n’était donc qu’un simple exutoire à sa frustration, une façon comme une autre de calmer ses ardeurs. Et cela, Liam ne l’appréciait guère. Pas beaucoup plus que d’être tutoyé. Souriant avec affabilité, il prit un air idiot, leva doctement un doigt en prenant un air de moralisateur, et déclara le plus simplement du monde :
-Ce que j’avais l’intention de faire ? Diantre ! Mais rien du tout ! Juste passer mon chemin comme l’honnête badaud que je suis et qui s’applique à y ressembler. Je m’apprêtais tout juste à partir !
S’arrêtant un instant, il fit mine de réfléchir, hocha la tête plusieurs fois, affecta un air sérieux et enfin, repris son discours :
-Mais, à vrai dire, vous semblez fâchés. Et je n’aime pas cela, non, pas du tout… Aussi ai-je décidé de vous aider dans votre quête, en vérité très honorable de réparer tout ce dégât malencontreux.
Que diable ! Comment ça un vol plané pitoyable ? Liam, lui, y trouvait pourtant une majesté sans pareille, une forme d’art à s’effondrer sur le sol avec une grâce ‘pitoyable’ calculée au millimètre près et qui conférait à la chute tout son sublime. Vrai, il trouvait cela absolument admirable ! Du moins en apparence. Car Liam avait décidé de passer pour un de ces excentriques idiots et naïfs que l’on peut parfois trouver dans des endroits insolites. Un port, pour ne pas citer le moindre exemple. Le poète avait bien compris qu’il ne s’en tirerait pas à si bon compte, loin de là. Rien ne lui serait pardonné s’il prenait l’air offusqué d’un de ces aristocrates bilieux et conservateurs. Au contraire, l’excentricité lui conférait une couverture parfaite. Et un anonymat on ne peut plus agréable.
-Vol plané remarquable tout court, oui ! C’est de l’art, de l’art quelque peu absurde, mais de l’art tout de même !
Après un bref instant d’hésitation, il rajouta finement, une lueur malicieuse dans les yeux :
-Et puis l’art n’est pas dans chacune des choses de ce monde, les grandes et les petites comme dans les plus absurdes ? C’est la perception des choses qui justifient la beauté d’un objet, la poésie d’un acte ou que sé-je encore ? Vous n’êtes pas d’accord ?
Ce faisant, il jeta un bref coups d’œil à son interlocuteur, visiblement toujours aussi furieux. Coups d’œil qui s’éternisa pendant de trop longs instants. Qui était cet homme ? Et pourquoi pas… cette femme ? Aussi incongrue que soit cette idée, et lui traversa la tête avec un éclair de lucidité. Et cette femme, il la connaissait. Ces traits, ce visage, cette bouche, ces formes androgynes, et ces cheveux ainsi que cette posture… Tout lui ressemblait. Mais qui était-elle ? Et que faisait-elle ? Non, ce n’était pas possible. Il ne se rappelait que de son visage ; où l’avait-il donc rencontré ? Et comment, et dans quelles circonstances ? Tout cela était trop flou ; les réminiscences s’enchaînaient sans discontinuer et il ne parvenait pas à se rappeler. Ce ne devait être qu’une impression, qu’un vulgaire préjugé. Cachant sa lucidité derrière son masque excentrique, il sourit naïvement et claironna :
Alors, par quoi commençons-nous ?
Son regard cependant, ne pouvait tromper personne. Il connaissait cette personne. Il en était certain ; et c’était une femme. | |
| | | Yue Hwyddnès Pirate - Maître d'équipage du Raven
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| Sujet: Re: La chute est une chose formidable [Yue] Sam 5 Sep - 18:37 | |
| La peur est une chose insidieuse, versatile, un monstre dévorant avec délectation les entrailles et la raison de l'homme qu'il tue à petit feu, avec une tendre et odieuse douceur. Un monstre que certains combattent jusqu'à leur ultime et pitoyable souffle, que d'autres apprivoisent... mais que nul n'accepte. Jamais. Et Yue ne faisait pas exception. Elle aurait pu accueillir avec le sourire cette vieille amie qui toujours la pourchassait, embrasser ce détestable présent tissé d'angoisse qu'elle lui offrait, le choyer tendrement, le comprendre... pour le sublimer en force. La force irrésistible de ceux qui parviennent à dépasser leur peur.
Néanmoins... elle en était incapable. Purement incapable. Elle ne faisait que lutter vainement contre la crainte qui la consumait, rejetant loin d'elle et son effroi, et son passé. Car, au fond, elle tremblait face l'idée de retomber dans les affres de sa vie d'avant, rien d'autre. Elle tremblait face à ce que la fatalité de sa naissance lui avait imposé, serrant contre son pauvre petit cœur sa douce liberté, si tristement conquise, la seule et unique chose qu'elle ne dût plus perdre. Tout à la fois la cause et la conséquence de sa frayeur frénétique...
Mais elle savait comment lutter, toutefois. Sa peur pouvait sournoisement la miner, le masque d'indifférence qui recouvrait son âme se déliter avec lenteur, son inhumaine volonté la soutenait cependant, la guidant vers ce qu'elle savait être son seul choix. Un choix qui se paraît de couleurs plus vives qu'on ne pouvait le penser. Peut-être parce qu'il était le dernier, après tout... celui qu'elle avait toujours choisi : Yu' devait simplement poursuivre sa comédie, jouant son frustre rôle jusqu'à la fin, sans faillir. Et continuer à croire qu'on ne pouvait la démasquer, ne plus douter. Parce que le doute, fondamentalement fallacieux, est un sentiment bien plus insidieux que la peur. Il ronge, encore et encore, et détruit irrémédiablement toute certitude... Oui, il suffisait à Yue de rester Yue. Elle n'était plus la jeune aristocrate enfermée par la perspective d'une vie dont elle ne voulait pas... Elle n'était plus Aymë. Là résidait toute la différence. Elle n'avait seulement physiquement changé -quoique son corps, musclé par d'innombrables jours passés entre les doux bras de l'océan, et ses formes féminines habilement dissimulées par son don de métamorphose eussent pu tromper beaucoup de monde- ... Non, c'était véritablement mentalement qu'elle s'était transformée. Libérée de toutes ses contraintes et attaches, elle avait pu s'envoler... littéralement.
Alors, au final, jouait-elle vraiment un rôle ?... Nul n'aurait pu l'affirmer. Où finissait la comédie ? Où commençait l'expression de sa personnalité ?... La frontière restait inconnue, désespérément floue. Même pour la pirate elle-même.
- Je n'ai pourtant jamais rencontré d'honnête badaud affichant un air aussi moraliste, alors que la décence aurait voulu qu'il se montre simplement confus... répondit-elle enfin à Liam, dissimulant ses réflexions torturées derrière un petit sourire où une sourde colère tutoyait galamment une ironie mordante. J'ai vu plus... convaincant.
Elle était néanmoins loin de se montrer amicale, et derrière ses mots se cachait à nouveau cette pointe de menace latente et ambiguë qu'elle semblait beaucoup apprécier. Mais elle était bien forcée de reconnaître que l'attitude incongrue du... badaud en question, dissimulant habilement une effronterie à coup sûr toute calculée, l'amusait beaucoup. Rendez-vous compte, il osait gracieusement lui proposer son aide !!... Comme s'il ignorait qu'il n'en avait, en vérité, pas le choix. Les pirates possédaient peut-être un honneur qu'on ne leur prêtait pas, ils n'en restaient pas moins, pour le reste, -presque- aussi féroces qu'ils en avaient l'air...
- Non, tu as simplement atteint le sommet de l'art pitoyable. En cela, ta chute fut remarquable, je te le concède... rétorqua-t-elle ensuite, secouant négativement la tête. A croire qu'elle ne pouvait vraiment pas se départir de sa verve, indépendamment de son exaspération fataliste et de la peur sourde qui la dévorait...
- Et je ne suis pas d'accord, en effet. Laissons l'art aux artistes, disserter à ce sujet m'indiffère, simplement. Du reste, ta chute était lamentable, en quoi te pendre et te répandre en divagations à son sujet changerait-il quelque chose ?...
Et, ce faisant, elle avait affiché air frustre et raffiné tout à la fois... Simplement déconcertant. Après tout, elle n'était qu'un de ces vulgaires pirates, enfants oubliés des rues n'ayant eu d'autre choix que de se faire renégat pour survivre... L'heure n'était pas à philosopher, Yu' devait jouer son rôle, dans tout ce qu'il avait d'absolu.
Perdant soudainement son expression un tantinet railleuse pour recouvrer un sourire de mauvais augure, froid et indubitablement cupide, la jeune femme fit un pas vers Liam, se retrouvant toute proche de lui. Une telle proximité était peut-être une erreur mais... restait trop éloignée aurait été étrange, inconvenant pour le pirate menaçant qu'elle paraissait.
- Alors tu commences par m'expliquer ce que tu comptes faire pour payer cette toute fraîche petite dette...
Et, pour le coup, le murmure de Yue, rapidement emporté par un vent joueur, avait abandonné les notes facétieuses qui avaient précédemment coloré ses mots. Il n'était rien qu'avertissement grondant... et défi.
Cependant, au fond, même si Yu' tentait encore de la repousser, de la renvoyer à ce néant qu'elle n'aurait jamais du quitter, la peur, en elle, se faisait lentement un chemin. | |
| | | Liam Anaikh' Poète aristocrate
Nombre de messages : 15 Date d'inscription : 23/08/2009
| Sujet: Re: La chute est une chose formidable [Yue] Jeu 10 Sep - 21:43 | |
| Y’a-t-il une raison à la volonté, à la solitude, et à toutes ces choses premières qui régissent premièrement l’homme ? Peut-on justifier le fait de répandre le sang ou, aux antipodes, d’épanouir la joie autour de soi ? L’homme répondrait oui, et pourtant, objectivement, il n’y a aucune raison. Il n’y a pas véritablement de réponse à cette question, le subjectivisme ne pouvant être dissocié de l’esprit, mais, en tentant de prétendre à l’objectivité, la réponse est effrayante. Massacrer, en-soi, ne paraît ni infâme, ni innommable, ni barbare. Cela paraît… juste comme cela est, hors de toutes palpitations du cœur et de l’âme. Formidable excès de raison que cela, il est vrai, mais pourtant abîme de perdition. On ne commence à mourir que lorsque l’on prend conscience de celle-ci et de sa fatalité. On n’en prend peur que quand on la voit planer et poursuivre sa proie, inlassable et inexorable. Heureux est celui qui peut garder l’innocence comme vertu première ! Il n’aura pas de regard sur le monde autre que la jouissance. La peur que Liam lisait dans les yeux de la jeune personne qui lui faisait face le déconcertait. De quoi tremblait-elle ? Quels stigmates portaient-il sur son visage pourquoi qu’on le dévisageât ainsi ? Il n’y avait pourtant aucune raison à cela. Certes, il pouvait paraître étrange, idiot, excentrique et que ce que l’on voulait, mais rien de tout cela n’inspirait la moindre crainte. On en riait, on s’en gaussait, on s’en pâmait d’idioties, mais on ne s’en émeuvait pas. Cette peur trahissait autre chose. Car rien n’était plus traître que l’émotion et le sentiment. Un flot d’images et de réminiscences entrecoupées défilèrent rapidement dans l’esprit de Liam qui, se souvenant, ne parvenait à saisir précisément les souvenirs qui remontaient en lui. Un flot se fit, puis la nuit ! Rien n’effleura plus la surface ; tout devint sans bruit, sans bruissement, sans même un soupçon de soupir. Et Le jeune poète qui reconnaître la jeune femme.
-Mais, il me semble que tu es … Commença-t-il, troublé et incertains.
S’interrompant, il détailla le pirate avec attention. Ses traits li étaient familiers, inéluctablement analogues à ceux de cette fille. Mais par tous les dieux, qui étaient-elles ? Qui était-il ? Quelle était son identité, sa personnalité et non les humeurs changeantes auxquelles il le sentait sujet ? Qu’avait-il de si particulier ? Quel charme dégageait-elle, et qu’évoquait-elle à ses sens et à ses souvenirs ?
-Je n’y comprends pas l’ombre d’un arbre sclérosé, continua-t-il enfin, en usant d’un de ses tics de langages qui rendaient son écriture si célèbre. Que je sois sauvé si tu m’apparais un jour bien distinctement !
S’arrêtant à nouveau, il fit mine de réfléchir, regardant alternativement le ciel et l’individu qui lui était si étrange tout en étant si familier à sa souvenance… Singulière dualité ! Il fit un léger mouvement de tête qui fit onduler avec grâce sa chevelure et la laissa tomber en cascade luisante et saccadée dans son cou. Affectant un air faussement contrit, il se décida à répondre :
-Il est vrai qu’un honnête badaud n’aurait peut-être pas ce comportement disons… non-conformiste, voulez-vous ? Mais cela insinue-t-il que je n’en suis pas un, que je suis un malfrat, un voleur, une canaille, un voyou, un maroufle et ce que vous voulez encore ? Ce n’est pas que cela me dérange, on vous désignerai pareillement, mais enfin, je ne crois pas que la langue des hommes me désigne ainsi. Mais enfin, si vous le désirez, appeler moi comme ça, ce sera pour le mieux. Du reste, j’ai un nom, et il se dit Liam. Souffrez-vous que je demande le vôtre ?
Quant à sa chute, qu’avait-il encore à en dire ? Il avait sa vision, et son interlocuteur la sienne, il fallait s’en tenir là. La futilité de cette discussion n’étant pas à démontrer, il jugeait n’avoir pas à se justifier, d’autant que cela lui paraissait évident. Lia haussa donc les épaules, et répondit avec déférence :
-Eh bien puisque vous le dites, ce doit être vrai, admettons. Ma chute fut minable pour vous, artistique de mon point de vue, assez subjectif, je l’avoue. Inutile de se mettre en guerre pour des broutilles ainsi donné pour la bataille.
Entre raffinerie et piraterie, l’être qui faisait face à Liam avait un ton railleur, ironique, et décapant. Une voix grave et mélodieuse que le jeune poète jurait être celle d’un homme. Pourtant maintes de ses traits évoquaient en lui une demoiselle, une courtisane un peu revêche, une rebelle à la fois charmante et inaccessible. Son visage, quoiqu’on en dise, était aliter et d’un androgynéité troublante ; ses gestes étaient empreints d’une grâce qui lui rappelait sa sœur Rose, et son sourire avait ce je ne sais quoi qui évoque les souffrances d’un jour qui désormais sont mortes dans l’espérance et la nouveauté de l’aurore. Cette jeune personne avait un âge indéfinissable et un aspect singulier qui ne contrastait nullement avec la piraterie. Elle possédait également cette froideur et ce ton de défi qui caractérise les âmes fortes et résolues.
-Ce que je compte faire ? Répéta Liam, perdant soudain son air béat et un brin ironique dans sa bêtise. Bien des choses, voyez-vous. Le reste ne dépend que de vous.
Un instant, le silence se fit, étrange, bruyant, bouillant, extraordinairement coloré de teintes vives et déchirantes. Liam fixa l’individu qui lui faisait face avec défiance et, souriant, un masque impassible et sans âme peint sur le visage, il murmura dans la brise quelques mots doucereux :
-Je crois que vous comme moi nous connaissons. Vous ne croyez pas, ou il faut que je me donne la peine de vous aider dans votre recherche ? Je sais lire dans vos yeux…
Un vent frais et vicieux souffla sur la mer et s’en alla chevaucher les écumes en agitant la brume. Liam sourit et soudain, son masque se brisa en mille morceaux dans un grand éclat de rire.
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