Inspection de la Potence par le nouveau Capitaine

Impeccable, dans sa redingote amidonnée, et sa chemise à jabots ouverte pour laisser voir à tous son torse finement sculpté, Jean Du Rouvre, après un détour par les prisons, avait décidé d'aller parader dans la Cour réservée à la Potence.
Une énorme créature à deux têtes, couverte d'une lourde armure noire et équipée de deux grandes haches, le suivait de près, faisant résonner le sol d'un "Bong!" métallique à chacun de ses pas. C'était Gart-Trag, un meurtrier stupide fraichement sorti des geôles par les bons soins du Capitaine.
C'était son Garde du Corps, désormais.

S'étant arrêté à côté de la Potence, Jean la considéra d'un oeil mécontent. Elle ne servait pas souvent, semblait-il. Il pouvait y avoir trois raisons à cela:
-Soit les habitants d'Aïsthèsis était tous des anges. Mais il savait que ce n'était pas le cas, un tueur en série arpentait la ville encore aujourd'hui. Ou du moins avait sévi ces derniers temps.
-Soit la justice était trop laxiste et ne condamnait personne à la peine de mort.
-Soit la Milice était une bande d'incapable qui n'arrêtait jamais de criminels conséquents...

Il craignait un peu que cette dernière hypothèse soit la bonne. Il interpella un Milicien de faction:

"Hé toi, là! Milicien. A quand remonte la dernière pendaison en Aïsthèsis?"

Hésitant, le Troufion salua son nouveau Capitaine, puis ne sut que répondre.

"Mhm. C'est bien ce que je pensais," maugréa Jean.
Il s'adressa à la fois au soldat et à son Troll à deux têtes:
"Voyez vous. Une ville qui ne pend pas de temps en temps un criminel est vouée à sombrer dans l'anarchie. Les gens n'ont plus peur de la Justice, il ne sente pas qu'ils risquent leur vie à commettre des larcins. Et ils sont donc plus facilement disposés à transgresser la Loi..."

Le Milicien acquiesça timidement, et le Troll ne comprit même pas qu'on lui parlait.
Il parla ensuite au seul Milicien:

"Préparez moi bien et nettoyez moi donc cette belle machine, car bientôt, de beaux cadavres bien pourrissants y seront accrochés. Assurément, je vous le dit. Faites installer d'autres cordes. Et préparez vos flèches, que cet endroit ne devienne pas un repaire de corbeaux venus se régaler de nos pendus... Que cela ne devienne pas une volière!"

Il ricana. De la poigne. C'était cela qu'il fallait montrer...

"Tu as de la chance," fit-il, badin, à Gart-Trag. "Il n'y avait manifestement qu'une seule corde, et un Capitaine laxiste, quand tu t'es fait arrêter. Difficile d'étrangler tes deux gorges dans ces conditions!"

"Beuh?" répondit une première tête.
"Hein? Quoi? Pas compris, M'sieur," fit la seconde.

Jean éclata de rire, puis haussa les épaules.

"Peu importe. Allez, viens, nous allons patrouiller. Montrer à cette ville qui nous sommes."

Le troll bicéphale obéit et, dans un fracas d'acier, suivit le fier Capitaine.

"Et ne m'appelle pas Monsieur quand je te parle," ajouta distraitement Jean, "nomme moi Capitaine!"