Pas envie de s'faire refouler... [Libre]

A la réplique de Magdalena, Mairéad reporta son attention sur les deux étudiants. Elle les fixa tour à tour de ses grands yeux bleus qui, à la différence de sa soeur, n'exprimaient rien qu'une légère curiosité diluée dans beaucoup de neutralité. Elle se pencha alors vers sa soeur et murmura :

" Je crois que tu as offensé la jeune fille... "

Sa voix était aussi légère qu'une brise d'été, mais ce n'était pas pour ne pas être entendue qu'elle parlait bas. C'était son timbre de voix au naturel. Elle n'élevait jamais la voix, ne parlait que dans un murmure, donnant l'impression que ses paroles étaient portées par un coup de vent.

" Vraiment ? " répondit alors Gaya en penchant la tête sur le côté.

Son regard de serpent faisait des allers et retours entre Magdalena et Junichii. Ce dernier les avait saluées sans même relever la pique de Gaya. L'expression de la jeune fille se para de mépris.

" Suceptible... " siffla t elle.

"Non..."

corrigea Magdalena en relevant le front, prenant une mine austère. Son pouvoir d'empathie avait redoublé son malaise vis à vis des deux nouvelles venues, et pour y résister elle s'enfermait dans une colère froide, et sans remous extérieurs.

"Seulement terre à terre... et pour un échange de bons procédés, et à la politesse répond la politesse."

ajouta-t-elle non sans ironie.

"Maintenant, la suite ne dépend que de vous." acheva-t-elle, d'une voix qui se voulait dégagée.

Gaya eut un rincanement puis son visage changea soudain du tout au tout. Elle n'avait plus l'air très commode, à se demander si elle n'allait pas passer à l'attaque et mordre la pauvre Magdalena pour son impudence. Ses yeux s'étaient obscurcis, ses lèvres étaient muées en une expression de colère. Elle vrilla son regard dans celui de la jeune fille ; un regard débordant d'antipathie.

" Tu as les dents longues, petit rat... Prends garde à ce qu'elles ne rayent pas le parquet... "

" Gaya, nous venons juste d'arriver, tu ne vas pas commencer à effrayer les jeunes filles ? " intervint alors la voix douce de Mairéad.

Elle n'exprimait ni amusement ni réprimande envers les protagonistes, juste un laconisme indifférent. Sa soeur détourna alors son attention de Magdalena pour poser les yeux sur elle. La jumelle sombre triturait quelque chose entre ses doigts. On aurait dit un bracelet de perles ou un chapelet composés de petites boules de nacre. Quoi que fut l'élément qui le composait, il faisait un sinistre bruit de cliquetis à chaque fois que Gaya le renversait.

" Mais je n'essaie pas de l'effrayer, Mairéad... "

De nouveau, son regard de serpent se posa sur Magdalena. Un sourire ironique apparut sur ses lèvres.

" Nous faisons connaissance... "

"Drole de façon de faire connaissance ..."

releva Junichii ... Celui-ci n'avait rien dit depuis son bonjour qui s'était rélévé aussi inutile que la plupart de ses paroles en temps normal, bien que celle-ci fut faite avec politesse. Il s'était ainsi contenter de regarder les deux nouvelles étudiantes, jetant parfois un coup d'oeil à Magdalena lorsque celle-ci répondait à la plus arrogante des deux jeunes filles.

Il commença à caresser la tête de Kôryu avant d'à nouveau s'adresser aux deux jeunes filles sur un ton désintéressé.

"Il y a d'autres manières de faire connaissance ... des manières moins agressive ...

N'est ce pas ?"

ajouta-t-il en relevant la tête et en souriant. Loin de lui l'idée de donner des leçons, mais il pensait s'être fait une amie en la personne de Magdalena et n'avait pas envie que ces évenements soient gachés ... En tout cas, pas directement ...

"J'approuverai bien du chef, Junichii, mais mes dents risquent de heurter le sol, le coeur y est cependant !"

répondit Magdalena en souriant au jeune homme. Elle appréciait son intervention même si elle savait qu'elle n'aurait pas de grands impacts envers une vipère. Elle ne voyait qu'une échappatoire : en rire, et ne pas se prendre la tête.

"Tu devrais écouter ton amie, Dark Lady." lança-t-elle à Gaya, ignorant encore le lien qui la rattachait à la blonde.

"Mais en même temps, comme ça, nous sommes fixés. Je vais pouvoir prendre mes dents à mon cou à chaque fois que je te verrai."

finit-elle en un soupir.

Gaya prit un air d'offensée. Elle tourna d'abord les yeux vers sa soeur, toujours enfermée dans son laconisme, puis reporta son attention sur les deux étudiants.

" Vous entendez ça, oncle Liam ? Il paraît que je suis agressive ! " dit elle sans qu'on ne sache à qui elle parlait.

Mairéad n'avait même pas tiqué, bien qu'il n'y ait rien qu'eux quatre dans le hall.

Gaya brandit alors le collier qu'elle avait dans les mains. Et au bout duquel pendait, en guise de pendentif, la tête réduite et ridée de quelqu'un. Homme, femme ? Difficile à dire.

" Que dites vous, mon oncle ? " poursuivit Gaya en approchant la bouche ridée de son oreille.

" Diantre, vous avez raison ! "

Elle éloigna la tête suspendue à son chapelet de phalanges et prit un air contri en observant les deux jeunes gens face à elle :

" Je vous pris d'excuser mes écarts de politesse... Je manque à toutes les règles de la bienséance... Je m'appelle Gaya... Gaya Nerden, et voici ma soeur, Mairéad... Nous sommes jumelles... "

Elle insista bien sur le lien de parenté qui la liait à Mairéad et prenant un air étonné :

" Je suis surprise que vous ne l'ayez pas remarqué tout de suite... "

Il y eut un silence pendant lequel Gaya sembla regarder dans le vide puis elle se frappa la tempe, comme si elle venait de se souvenir de quelque chose. Elle brandit alors la tête réduite d'oncle Lian sous le nez des deux étudiants :

" Et voici notre oncle Liam... Il est décédé il y a quelques années, alors qu'il parcourait la Jungle... C'est tout ce qu'on a retrouvé de lui : sa tête et un collier de ses phalanges... Du très bel ouvrage, vous ne trouvez pas ? "

Magdalena avait d'abord ouvert largement les yeux en voyant cette tête à qui Gaya avait adressé la parole... D'abord à cause de l'étrangeté de la scène, ensuite pour le côté morbide... Mais en même temps, Magdalena ressentit une vive colère, car Gaya se moquait d'eux en agissant de la sorte. Elle n'avait jamais ressenti autant de mépris en une seule phrase. Mais une seconde sensation monta en elle, une tristesse fragile, parce que tout ce qui touchait à la mort la menait à une étrange mélancolie.

Elle se demandait si son père était toujours vivant, si sa mère n'était pas morte à l'intérieur de son être, la frontière entre le royaume des morts et celui des vivants était aussi fine qu'une aile de papillon. Et Gaya la franchissait sans se rendre compte qu'elle pourrait déchirer ce voile obscur, pour les précipiter dans la tourmente...

"... Vous... Vous ne vous ressemblez pas du tout... Mais ça, vous le savez déjà..."

dit-elle simplement, pour justifier qu'elle n'avait pas vu leur lien du sang.

Et comme la brune faisait étallage de son savoir-faire avec cette tête :

"Ho oui, elle est superbe, j'aurais cru que ce genre de choses sentirait mauvais mais... Non mais ho !"

* Qu'est-ce que je raconte ???*

".... T'es quand même bizarre pour te trimballer avec ce genre de trucs !"

Elle s'était repris pour arborer une mine sévère.

"Bizarre ? Mmm ... Je trouve pas ..."

Junichii avait dit cela car il avait entendu parler et la voix ne venait pas des deux jumelles (?) ni de Magdalena. Il n'avait pas entendu distinctement ce que la voix disait parce que la source était trop lointaine pour être comprise ...

"Ou alors c'est mon imagination "

ajouta-t-il avec son eternel air bête ....

"En fait, c'est vrai que t'es bizarre !"

conclut-il comme s'il venait de trouver la vérité absolue ...

" Ce "truc", comme tu dis, c'est ce qui reste de mon oncle... Ais au moins un peu de respect pour les morts... " répliqua Gaya avec froideur.

" Et je ne vois pas ce qu'il y a de bizarre à avoir sur soi quelque chose qui a appartenu à quelqu'un de proche... " ajouta t elle à l'intention des deux étudiants.

" N'avez vous pas vous-même quelque chose ayant appartenu à un grand-père, une tante, un frère mort prématurément ? La mort n'a rien de terrible, c'est l'image qu'on s'en fait qui l'est. Il est vrai que la mort est assez hideuse... "

Et pour étayer ses dires, elle brandit à nouveau la tête d'oncle Liam.

" Mais à part ça ? " reprit elle en haussant les épaules.

Elle avait l'air tout à fait sérieuse, et pour cause : elle l'était. Ses intérêts morbides n'étaient qu'une non peur de la mort, car elle ne la voyait pas comme la fin de l'existence mais un passage à autre chose et un bond vers l'inconnu. Et qu'y a t il de plus effrayant que l'inconnu ?

La silencieuse Mairéad s'était désintéressée de la conversation pour faire le tour du hall. On aurait dit qu'elle visitait un musée, indifférente à leur débat. Pourtant, elle avait l'habitude de laisser traîner ses oreilles...

Magdalena retroussa légèrement son petit nez. Ses yeux avaient fait le yoyo pour suivre le mouvement de la tête brandie par Gaya. Et lorsque ses iris azur se stabilisèrent, ils portaient une lueur de désapprobation.

"On garde plus communément un objet ayant appartenu au mort, on ne se trimballe avec un morceau de lui... Ne serait-ce que pour les laisser dormir en paix. Ton oncle n'en a pas assez de voir du pays ? A moins que cela ne l'amuse au contraire..."

finit-elle sur un ton sombre, fronçant les sourcils. Les explications de Gaya n'étaient pas dénuées de logique et de pertinence, et face à elle Magdalena n'avait que la norme préétablie... C'était bizarre, ce n'était pas bien.... Mais à part ça ?

Et si son tonton était effectivement très heureux de se balader au cou de sa nièce ?

"Tu as fait comment pour éviter qu'elle ne sente mauvais ?"

La question était sortie toute seule, il n'y avait aucune moquerie dedans, c'était juste qu'elle avait imaginé des bouts de cadavre comme particulièrement odorant...

" Je l'ai gardée dans une boîte ventilée... " répondit Gaya, comme si c'était la chose la plus banale du monde.

" Mais les réducteurs de tête ont fait presque tout le boulot... Je ne sais pas si ils ont jeté un sort ou si ils ont une technique spéciale, mais la conservation est excellente... "

Elle jeta un coup d'oeil à la tête réduite puis son regard sembla fixer quelque chose dans le vague.

" Et puis tu sais, mon oncle aimait bien crapahuter par monts et par vaux... Il n'a pas voulu rejoindre le monde de Perséphonè... Il dit qu'elle est bien trop terrifiante. Du coup, il préfère rester ici, et c'est moi qui le garde... "

Elle tapota le dessus du crâne cabossé et échevelé d'oncle Liam avec un petit sourire.

Enfin, Gaya finit par ranger la tête dans une sacoche qu'elle portait en bandoulière. Puis elle releva les yeux vers Magdalena.

" C'est quoi ton nom, déjà ? " demanda t elle avec une note d'arrogance dans la voix et dans les yeux.

"Magdalena Dashwood..." dit-elle d'une voix monocorde, les yeux à demi-fermés, comme si elle avait reçu un coup de masse sur la tête.

"S'il a eu peur de Perséphonè, c'est qu'il doit avoir des choses à se repprocher, non ? J'ai entendu dire que les âmes vertueuses n'avaient rien à craindre des tourments de l'autre monde..."

Elle ne savait pas si ses affirmations allaient paraître impolies, ou non, mais elle n'avait pas tellement d'autres sujets de conversation en face de ces diaboliques jeunes filles. Aussi poursuivait-elle avec spontanéité, ne calculant pas la portée de ses paroles.

Gaya se tourna vers Mairéad pour l'interroger du regard, comme si sa soeur en savait plus qu'elle à propos de leur oncle. Mais la jumelle aux cheveux d'or se contenta de hausser les épaules.

" Nous avons tous nos petits secrets... " répondit alors Gaya.

" En tout cas les morts sont suceptibles... Oncle Liam est parti sans que je ne lui donne congé... " bouda t elle en ayant soudain l'air très vexée.

" Moi c'est Mairéad... Mairéad Nerden... " coupa l'autre soeur comme si de rien n'était.

Elle parlait d'une voix douce, et quoi que dénué de chaleur, elle était aussi dénuée de mépris ou de méchanceté. Elle semblait répondre à Magdalena, comme si cela tombait sous le sens qu'elle se présente à son tour. Gaya arrêta donc de bouder et prit une mine plus austère quoi que moins antipathique :

" Gaya... " dit elle d'un ton bien sobre.

" Nous nous reverrons sans doute en cours ou à l'internat... "

Magdalena acquiesça d'un air appréciateur, mais en réalité c'était surtout pour avoir une réaction. Les revoir à l'internat ? C'était vraiment le dernier de ses voeux. Elles auraient même plutôt intérêt à prendre une chambre au cimetière, là-bas elles se sentiraient à leur aise.

"Il reviendra bien ton oncle, enfin s'il tient à sa tête... C'est peut-être devenu comme un bijou pour lui, non ?"

dit-elle, tentant de raisonner comme si elle était morte, mais il fallait bien admettre que ce n'était pas d'une évidence éclatante pour elle.

Elle se rendit alors compte que même en présence d'un morceau de mort, elle n'avait pas eu de pulsion emphatique.... Peut-être que le pouvoir, ou l'ascendance de Gaya sur la tête du mort, était supérieure au sien. Magdalena fronça les sourcils quelques secondes, calculatrice...

"On se reverra peut-être oui..." répondit-elle en espérant le contraire.

" Il ne doit pas être bien loin... Tant que j'ai sa tête, il doit m'obéir au doigt et à l'oeil... " répondit Gaya avant de lacher un petit ricanement.

Elle semblait trouver amuser ce petit jeu de mots et d'esprit fait à l'égard de son oncle. Puis elle haussa les épaules d'un air dédaigneux et commença à passer son chemin sans même un mot de plus. Elle frôla Magdalena au passage et posa une main sur son épaule comme on ferait avec un simplet qui ne comprendrait pas la subtilité d'une bonne blague gore. Mais il n'y avait rien de compatissant dans ce geste, bien qu'il ne soit pas complétement méprisant non plus.

Seule resta la silencieuse Mairéad qui observa sa soeur qui s'éloignait peu à peu.

" Elle est parfois grognon mais elle ne te fera rien, ne t'inquiète pas... Tu n'es pas encore dans sa ligne de mire... " dit elle enfin de sa voix distraite.

" Mais elle te teste... "

Ses paroles semblaient saugrenues, ou bien ambigues. Dans ces moments-là, les proches d'une personne étrange essayaient de rassurer les inconnus sur le comportement de la personne en question. Sauf que, dans ce cas, le proche était sans doute encore plus étrange que Gaya. Aussi, ses mots étaient lancés dans les airs, à mi-chemin entre l'avertissement et les paroles rassurantes, sans que l'on sache vraiment où les mettre. D'ailleurs, la réplique de Mairéad avait-elle réellement ne serait-ce qu'une once de compassion ? La jeune fille, en tout cas, semblait nimbée de la plus belle indifférence...

Magdalena était resté statique, ses yeux seuls avaient suivi les pas de Gaya, et elle s'était mordue la lèvre inférieure afin de ne pas être tentée de répliquer quelque chose.

Maintenant, tous ses voeux tendaient vers un même objectif : ne plus recroiser cette étrange jeune fille, dans la mesure du possible.

Mais la voix de Mairéad la tira de ses pensées, et elle la regarda, clignant des yeux, avec une nonchalance mélancolique.

"Elle tâte donc le terrain pour savoir si elle peut mordre dedans ?" s'enquit-elle.

Elle savait qu'elle ne pourrait pas compter sur une vraie réponse, les paroles de la jeune Nerden étaient nimbées d'une aura double et malsaine. Quelle était la démarche à adopter ? L'affrontement frontal ou la prudente indifférence ? Magdalena agirait comme l'on dit "au feeling"....

"Enfin bref..." ajouta-t-ellle.

"Je vais te laisser..."

Mairéad sembla rester pensive à la réponse de Magdalena, comme si elle essayait de juger si sa soeur pourrait vraiment essayer de s'en prendre à la jeune fille et de la presser comme un citron pour voir jusqu'où elle pouvait aller avant qu'elle ne se rebiffe. Elle reposa ses yeux bleus sur son interlocutrice, mais en vérité, elle semblait à mille lieux de l'université, dans un recoin tordu de son esprit qu'elle seule pouvait atteindre. Un coin de son esprit qu'elle fermait même à sa jumelle.

" Oui, je pense que nous allons passer une très bonne année... " dit elle, à peine consciente que sa réponse n'avait pas vraiment de lien avec ce que lui avait dit Magdalena.

Tout du moins, c'était l'impression qu'ell donnait. Derrière le vague de ses yeux azur se cachaient les deux pupilles acérées d'un serpent à l'affut. La jeune fille donnait souvent l'impression d'avoir décollé de la réalité, mais elle avait en fait les pieds bien ancrés sur terre et était bien plus observatrice qu'elle n'y paraissait.

" Passe une bonne journée... " conclut elle finalement avant de prendre les voiles de son côté.

Elle s'éloigna en chantonnant à tue tête, une chanson qu'elle seule connaissait...