Le nouveau Capitaine prend ses fonctions.

Jean entra dans le Poste de Milice comme s'il était chez lui. Mais n'était-ce pas le cas désormais?
Il portait une élégante redingote blanche, filetée d'or, cousue d'un écusson représentant une grappe de raisin or et rubis, devant une blanche tour. Sa chemise à jabot était négligemment entrouverte, laissant voir un petit médaillon doré et le haut de son athlétique poitrine.
Trois épées étaient engainées à son dos.

Errant dans les couloirs et les bureaux, il eut une moue critique. Comme on pouvait s'y attendre, la décoration était sobre. Trop, à son goût. Il espérait que son bureau serait un peu plus luxueux.
Il salua les quelques miliciens qu'il croisa, se présentant, pour l'occasion, avec un sourire paternaliste:

"Le Bonjour, Messieurs. Je suis Jean Du Rouvre, le nouveau Capitaine de la Milice. J'espère réaliser du bon travail, avec vous. Veuillez m'indiquer mon bureau, je vous prie."

Les Miliciens obéirent, et Jean, une fois parvenu en son office - et ayant brièvement grimacé en considérant le mobilier - leur posa quelques questions sur les affaires en cours. N'ayant point de réponse satisfaisante, il demanda à ce qu'on lui amène un officier compétent...

Puis il s'assit sur un fauteuil, jambes croisées, et commença à rédiger quelques missives. Il n'était guère connu en Aïsthèsis, mais maintenant qu'il avait obtenu ce poste, cela allait changer...

Madurei avait été appelée pour faire un rapport complet au nouveau chef de la milice. Elle n'était pas spécialement gradée mais le perfectionnisme dont elle faisait preuve dans son travail lui valait une bonne considération générale.
Ses compétences faisaient oublier sa froideur et son caractère plus ou moins asocial.

Elle était corsaire, plus spécialement, elle serait surtout au fait des affaires maritimes. Cependant elle s'était renseignée pour pouvoir renseigner le capitaine sur tous les points. Il y avait quelques affaires qui tenaient au coeur des magistrats en ce moment : celle du tueur fou qui courait encore les rues, et celle concernant les pirates.

Elle rentra dans le bureau, elle avait attaché ses longs cheveux noirs en une queue de cehval raide. Deux mèches de sa chevelure tombait librement, encadrant son visage au trait fin. Sa tenue de corsaire, d'un bleu marine si sombre qu'il paraissait noir, était beaucoup plus sobre que la tenue du capitaine. Elle avait agrémenté son costume de deux détails cependant : corset noir et les bottes sombres, évoquant une élégance gothique, ténébreuse.

Autre touche personnelle et beaucoup moins discrète : un corbeau noir perché sur son épaule.

Elle se posta devant le capitaine et le salua :

"Madurei Wrytten, à votre service capitaine !"

lança-t-elle d'une voix ferme et glaciale.
Son regard se fixa sur son supérieur, de même que celui de Siegfried, le corbeau.

Le Capitaine leva les yeux sur elle.
Et son regard désabusé se mua aussitôt un une expression enchantée.

"Enchanté, Madame, asseyez vous, je vous en prie."

D'un geste élégant, il lui montra un fauteuil. Et la scruta un court instant, visiblement intéressé. Puis il se radossa à son dossier, avec un sourire charmant. Il ramassa quelques papiers, dont le registre de la Milice.

"Lady Wrytten... C'est bien cela? Enchanté. Je suis le Capitaine Du Rouvre. Jean Du Rouvre. Mais appelez moi Jean."

Sourire enjôleur. Cette femme paraîssait de glace. Mais, telle une canicule bienfaisante, il était capable de la faire fondre, cette glace. Un de ses pouvoirs n'était-il pas de charmer les gens par sa seule présence?

"Je suis certain que nous allons faire de l'excellent travail, ensemble. Pourriez vous me mettre au fait de toutes les affaires en cours, et de tout ce qui a un semblant d'intérêt en matière de crimes en Aïsthèsis?

La jeune femme pouvait certainement sentir l'aura paisible et relaxante qu'il y avait dans la pièce.

"Mademoiselle..." corrigea la jeune femme.

Madurei s'approcha et s'assit, croisant négligemment ses jambes. Un effet sans doute du pouvoir du capitaine qui l'avait légèrement tranquilisée. Mais Madurei, d'un naturel méfiant et peu ouvert, aurait besoin de plus pour être véritablement à l'aise.
Quelque chose était mort en elle depuis longtemps, elle n'était pas prédisposée au bien-être.

La blancheur de sa peau contrastait avec sa jupe sombre. La ligne de ses jambes, harmonieuse, affinait sa silhouette.

Son visage gardait une expression résolument neutre. Un peu de dureté cependant parait ses traits. La force de l'habitude qui lui avait conféré cet air sévère et froid. Même dans les moments de satisfaction son visage se couvrait d'une aura sombre.

" Pour l'heure, il y a trois dossiers particulièrement brûlant dans la cité. Le premier concerne une série de meurtres non élucidée. Des cadavres ont été retrouvés découpés en morceaux. Détail intrigant : ils semblent avoir été préalablement gelés. Les victimes sont des deux sexes, d'âge et de situation sociale variés."

Elle fit une pause avant de continuer :

"Lady Rodaria, une noble venant de l'île de Nauséa, compte parmi ses victimes, alors qu'elle était en visite diplomatique à Aïsthèsis. Nos équipes ont été d'autant plus mobilisées que sa famille réclame réparation."

La "demoiselle" résistait. Petite peste glaciale.
Ses yeux rirent. Il s'avança légèrement vers son bureau, déchaînant son aura. Il n'y avait qu'avec cela qu'il se sentait en confiance. Au moins on lui disait la vérité, généralement.

Et puis, qui savait? Les jambes croisées de la corsaire attirait son oeil.

"Des cadavres préalablement congelés... Déjà cela nous met sur la piste d'un sorcier du froid. Combien d'étudiants suivent des cours de magie du froid? Combien y'a t-il eu de cadavres? Dans quels lieux les a t-on trouvés?

Il mit sa paume en avant, signe qu'il faisait une pause, et n'en avait pas fini avec ses questions. Il reprit:

"Et les deux autres affaires d'importance, quelles sont-elles?
Dites moi tout, Mademoiselle - il avait bien insisté sur le Mademoiselle - s'il vous plait. Et nous allons régler tout cela. "

Madurei ferma les yeux un instant, comme prise d'un mal de tête. Elle avait l'impression qu'on la piquait avec des tas de petites pointes invisibles. Elle commençait à sentir qu'il y avait quelque chose d'étrange dans l'air. Elle combattait une sensation douce qui montait en elle, lui tordait le cou et la replongeait dans les abysses.

Siegfried commença à s'agiter sur l'épaule de sa maîtresse. Il devait ressentir son trouble naissant et ses plumes se dardèrent légèrement en signe de tension.

"Il y a une vingtaine d'étudiant suivant cette matière. Une jeune fille d'ailleurs a été suspectée puis relâchée. Le Gouverneur Tahoser a apperçu le tueur. Très rapidement. Il était d'une rapidité telle que ce ne fut qu'un éclair dans son champ de vision. Elle a cependant juré que le tueur ne lui semblait pas.... humain."

Elle remarqua que l'oeil de son capitaine avait tendance à glisser... Mais loin de s'en offusquer elle redressa un peu le buste avec orgueil.

"L'autre affaire concerne le pacte de non-agression signé avec les pirates. Les Magistrats tentent d'y mettre un terme pour chasser les pirates de la cité. Ensuite, il y a les Renégats plus usuels. Ceux qui ne bénéficient pas du pacte de non-agression. Des réseaux de voleur et de prostitution se sont installés dans les bas quartiers. Plusieurs opérations ont été menées pour les endiguer complètement, mais ils reviennent toujours..."

Le Capitaine écouta tout ce que lui dit Lady Wrytten avec attention. Il ne cacha pas néanmoins sa satisfaction à la voir bomber du torse fièrement sous ses regards appréciateurs... Le corbeau, par contre, était malvenu.
Cela n'aurait tenu qu'à lui, il aurait sorti une de ses épées de son fourreau et l'aurait tranché en deux... Fichu bestiole piaillante. Elle le regardait d'un sale air. Et il n'avait aucune prise sur ce genre d'animal dépourvu de sensualité.

Il se tripota les cheveux, pensif.

"Déjà, je veux que nous fassions un tour dans ces quartiers mal famés. Vous êtes avec moi, Mademoiselle Wrytten? Je veux un maximum de Milicien avec nous, et un jour, par surprise, nous y allons tous. Et nous les fichons tous en prison. Et quand bien même nous n'en prenons que quelques uns, nous aurons montré que nous sommes là. Ensuite, nous organiserons des patrouilles..."

"Quant à cette histoire de pirates. Gardons cela pour plus tard. Laissons les magistrats faire cela à leur façon...."

"Enfin, pour ce qui est du tueur en série... Je veux que l'on convoque un expert en magie dans mon bureau. Je me demande si le meurtrier ne pourrait pas être un genre de créature invoquée... Enfin? Toujours étant que je veux un avis d'expert.
Et, surtout, les lieux où les victimes ont été tuées."

Ignorant le corbeau, il la toisa avec un air affable:

"Je récapitule:
-Un professeur de magie de très haut niveau dans mon bureau.
-les lieux exacts des meurtres du "Glaceur"
-Organiser une descente dans les quartiers criminels, descente dont je ferais bien évidemment partie.
Cela vous semble faisable? Je sais que cela est peut-être beaucoup vous demander, mais je ferais de vous mon sergent en chef, mon bras droit, si vous m'aidez pour tout cela..."

Le capitaine semblait déterminé à prendre les choses en main. Il prévoyait déjà des actions de grandes envergures. Pour l'heure, elle avait encore du mal à le cerner : était-ce un loup aux dents longues ou juste un milicien désireux de bien faire son travail ?

En tout cas, une descente massive dans les bas quartiers pourraient bien mettre le feu aux poudres concernant le pacte de non-agression. Les pirates ne manquaient pas de se vautrer dans les bordels. Les Magistrats feraient d'une pierre deux coups : ils feraient tomber le pacte et se débarasserer de la lie de la ville.

Madurei n'en dit rien, mais elle pensait qu'il ne pouvait pas y avoir que le côté doré de la médaille, et qu'il y avait forcément un peu d'ombre pour faire ressortir la lumière. Elle concevait ces gens de bas étage davantage comme des victimes que comme de vrais criminels. Malheureusement, il y avait une règle du jeu, la vie était cruelle. La justice l'était aussi.

"Nous pouvons contacter un enseignant de l'université d'Istya. Je pense à Sieghart Rozent. C'est le professeur d'invocation. De ce fait, il a une connaissance accrue des différents types de magie, comme la glace."

Elle poursuivit :

"Quant aux lieux du meurtre, je ferais venir le dossier. De mémoire, je sais qu'on a retrouvé des corps dans un hôtel de luxe, dans la rue d'un modeste quartier d'habitation et aussi dans la forêt."


Elle se redressa, son corbeau remua légèrement : il brûlait d'envie de se dégourdir les ailes.

"Cependant, monsieur, concernant la descente, je vous conseille de voir avec un lieutenant maîtrisant le terrain. Je suis corsaire, je suis plus au fait des déplacements sur le port et les eaux territoriales."

Être promue n'était pas sa priorité. Pardadoxalement, obtenir du grade réduisait le champ des libertés. Les responsabilités qui accompagnaient les galons ne l'intéressaient pas. Elle avait besoin de rester dans l'ombre, c'était là où elle demeurait la plus forte.

Jean fixa son interlocutrice avec un sourire énigmatique. Elle n'était guère ambitieuse, semblait-il. Du moins en termes de grades et de pouvoir... Il lui avait tout de même proposé d'en faire son bras droit, et elle préférait qu'il s'adresse à un autre Milicien...
Enfin, si tel était son choix, il n'allait pas la forcer.

Tout en parlant, il commença à fouiner dans les tiroirs de son bureau et dans les meubles voisins:

"Vous me ferez donc mander en mon bureau un de ces lieutenants auquel vous avez fait allusion, ainsi que..." Il fronça les sourcils pour se rappeler du nom... "Oui, Ce professeur Rozent, qui connait si bien la magie des glaces."

Ne trouvant pas ce qu'il cherchait, il s'impatienta:

"Peste! Il n'y a donc pas un endroit où l'on range quelques bouteilles dans ce bureau?"

Il balaya d'un revers de main un tas de paperasses qui encombrait la table. Des feuilles volèrent en tout sens. S'apercevant qu'il devait passer pour un être qui s'irritait facilement - ce qui n'était pas faux - il ricana, avant d'offrir un sourire taquin à Lady Madurei.

"Un de mes petits plaisirs dans la vie, c'est de boire un verre en compagnie d'une belle femme. Je trouvais que la situation s'y prêtait bien..."

Il lui adressa un clin d'oeil amusé. Il se fichait éperdument de passer pour un goujat. Les femmes n'appréciait-elle pas les goujats? Oh que si.

"L'on dirait que ce ne sera pas pour aujourd'hui."

Il reprit son sérieux:

"Faites moi donc mander au plus vite les deux personnes que j'ai demandé. Et... Dites moi donc avant d'y aller, ce quartier mal fréquenté. Où se trouve t-il? Il se pourrait que j'aille y faire un tour moi-même, histoire de me rendre compte..."

Des bordels, du jeu, de la fête... On devait bien s'amuser, songeait-il. Ce serait dommage de ne pas en profiter avant de le faire fermer.

Madurei eut un petit sourire en coin. Elle goûtait peu la séduction. Rares étaient les gens qui trouvaient grâce à ses yeux d'un vert abyssal. Cependant, sa fierté l'emportait quelques fois sur sa colère, comme à ce moment où son visage exprimait une confiance proche de l'arrogance.

Ce fut d'une voix très douce et parfaitement posée qu'elle répondit :

"Ne tenez pas de propos inconsidérés, capitaine, vous n'avez pas encore passé en revue tous les rangs. Vous risquez de finir sans le sous si chaque beauté mérite le sacrifice d'une bouteille."

Hé oui, Miliciennes are sexy bombes ! Haem, passons !

Le capitaine était bel homme, c'était le moins que l'on puisse dire, même Siegfried, le corbeau, l'avait remarqué. Mais Madurei le connaissait encore trop peu pour ne plus être sur ses gardes. Il semblait un Don Juan en puissance, sans doute tenait-il ce discours devant toutes les jolies minettes qu'il croisait.

"Ce quartier se trouve au sud de la ville, à l'orée du quartier des Trois Grâces."

Elle n'ajouta rien mais n'en pensa pas moins : s'il s'y rendait seul, peut-être avait-il des objectifs inavouables.... Enfin, cela ne la regardait pas.

Elle le salua donc, prête à prendre conger pour aller quérir les personnes demander.

"Si vous le permettez, capitaine, je vais donc mandater le mage et le milicien en question pour que vous les voyiez le plus rapidement possible...."

Décidément, cette Lady Madurei lui plaisait. Elle ne manquait pas d'applomb, et de caractère... Séduire une femmes comme elle serait un véritable challenge, qu'il comptait bien relever.

Ses yeux bleus et ors se plissèrent, rieurs:

"Faites donc cela, oui. Et prévenez moi par missive dès qu'ils seront aux Poste de Milice. Je suis un homme de terrain, et je ne serai guère souvent en mon bureau."

Il eut un rire. Le quartier des Trois Grâces n'attendait plus que sa venue. Sexe, jeu et fête, les voilà, ses trois grâces, personnellement.

Mais tandis qu'elle partait, il s'était levé et parla d'une voix amusée à la corsaire:

" Une dernière chose, Lady Wrytten. Ne vous inquiétez donc point pour mes finances, je suis un homme plein de ressources, vous verrez."
Un sourire suave sur les lèvres, il se fendit d'une galante révérence:
"Si un jour vous daigniez accepter de boire cette bouteille en ma compagnie, disons, quand nous ne serons ni l'un ni l'autre en service, comme deux simples citoyens, n'hésitez pas en m'en faire part. Vous feriez de moi le plus heureux des hommes...
Maintenant que je vous ai rencontré, je crains qu'aucune autre milicienne ne soit à la hauteur."

Après cela, il la laissa prendre congé, en observant ses courbes exquises sans s'en cacher, avec une moue appréciatrice.

Madurei avait déjà posé sa main sur la poignée quand le capitaine l'interpella encore. Elle tourna la tête. Ses longs cheveux noirs coulaient harmonieusement dans le creux de son dos, dans la ligne fine de son échine que le costume des miliciennes mettait en valeur de façon provocante.

Elle le considéra quelques secondes, de ses yeux inquisiteurs. Les relations de travail pouvaient rapidement tourner au drame. Ce capitaine ne semblait pas au fait de la bienséance, elle l'avait déjà deviné en observant son regard de prédateur. Elle-même n'était pas froncièrement prude. Mais elle aimait rester maîtresse de la situation, et pour l'heure elle sentait bien que le capitaine la prenait pour du simple gibier. Elle devrait le détromper.

"Le travail d'abord, capitaine. Quand vous aurez sauvé la cité de toutes ces turpitudes, il sera temps d'envisager le réconfort après l'effort."

lança-t-elle d'une voix aussi onctueuse que revêche. Histoire de le taquiner. Et elle sortit du bureau, refermant la porte avec grâce tandis que son corbeau s'envolait pour la précéder dans les couloirs.

Jean eut un rire joyeux, tandis que la porte de refermait derrière la gracieuse jeune femme.

"Le réconfort après l'effort hein?.... Intéressant..."

Il avait commenté cela à voix basse, son demi sourire amusé ne le quittant pas.

Et bien! songea t-il. Il ne me reste plus qu'à aller sauver la cité de ses turpitudes, semble t-il! Le réconfort, avec cette Madurei, cela promettait.
Il vérifia rapidement que ses trois lames étaient bien arrimées dans son dos, et sortit à son tour.
Croisant un troufion dans les couloirs, il ordonna:

"Amenez quelques bonnes bouteilles et des verres dans mon bureau, Milicien. Transformez donc un de ces meubles qui ne servent à rien en un mini bar digne de ce nom, que j'ai quelque chose à offrir à mes illustres interlocuteurs. Et que cela soit fait pour ce soir, que diable!"

Puis il quitta les bureaux pour les cachots. Il lui fallait un atout qui impressionnerait la truandaille, et il espérait qu'il pourrait le trouver là-bas.